Le 14 octobre 2014
Un maître du western fait d’une petite histoire une tragédie magistrale.
- Réalisateur : Anthony Mann
- Acteurs : Gary Cooper, Jack Lord, Lee J. Cobb, Arthur O’Connell, Julie London
- Genre : Western
- Nationalité : Américain
- Editeur : Carlotta Films
- Durée : 1h39mn
- Date télé : 17 septembre 2024 22:20
- Chaîne : Ciné+ Classic
- Date de sortie : 26 décembre 1958
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Résumé : Link Jones a depuis longtemps cessé d’utiliser ses colts... Mais alors qu’il retourne dans son Ouest natal, son train est attaqué par une bande de hors-la-loi et il se retrouve contraint de participer à l’attaque d’une banque dans une ville fantôme. Car en réalité, Link Jones a jadis été parmi ces bandits. Le temps est venu de régler ses comptes avec son passé, dans un affrontement ultime.
Critique : Quand Anthony Mann réalise L’homme de l’Ouest, il a derrière lui les remarquables westerns tournés avec James Stewart, qu’il a métamorphosé en personnage âpre, violent, avide de vengeance. Pour son quasi-adieu au genre, il met en scène un autre grand gentil de Hollywood, Gary Cooper, mais plus le héros incorruptible du Train sifflera trois fois ou du Rebelle, plus cet Américain moyen pétri de bonté et d’altruisme. Car dans le monde de Mann, les hommes sont des êtres torturés dont le lourd passé demeure traumatisant. Le film décrit cette métamorphose : courtois et souriant au début, dans un espace civilisé, Link Jones devient un tueur qui peine à refréner ses pulsions quand le décor se mue en une cabane sordide ou en grand espace désert. Ce fameux vernis de civilisation, le cinéaste s’emploie à le démolir méthodiquement, ramenant ses personnages à une somme de violence qui éclate sporadiquement, et s’accompagne d’humiliations : c’est le strip-tease de Billie, qui trouve un écho inversé quand Jones déshabille Coaley, après une bagarre longue et douloureuse. Ce sont aussi les commentaires sur les comparses, des petites frappes sales et mal rasées, loin des méchants épiques du western traditionnel.
Mann dirige ses acteurs sans chercher l’homogénéité : Cooper est tout de retenue, jouant de gestes avortés et de regards signifiants. Sa longue dégaine, mal à l’aise dans le train, devient un corps blessé, souffrant, mais dont l’endurance porte le film. L’acteur avait cinquante-sept ans au moment du tournage ; il était malade, vieilli. Mann se sert de cette usure pour dramatiser le combat et le rendre plus douloureux encore. Mais il faut voir avec quelle maîtrise Cooper interprète son rôle, attentif aux moindres détails qui donnent chair à son personnage : ses mains, sa démarche, le moindre froncement de sourcils sont cohérents. À l’opposé, Lee J. Cobb incarne une brute shakespearienne, qui déclame et s’agite comme sur une scène de théâtre. Souvent éteint ou assoupi, il alterne les ordres froids ou les longues tirades emphatiques. Mais au fond il est pitoyable, suicidaire. Jones donne la clé du personnage en le traitant de fantôme : homme du passé, c’est à dire du western ancien, il n’est plus à sa place dans le genre déclinant. Fantôme ou fantoche, pantin désarticulé, anachronique dans ses gestes et ses mots, il n’a même pas une mort glorieuse : il tombe et tournoie sans fin dans un décor que le cadre a rétréci. C’est une sorte de Falstaff dangereux, ambivalent dans son rapport à Jones : il veut retrouver le passé, l’aime sans doute à sa manière, rude et tacite. Tel un héros tragique, il se retrouve seul à la fin, et supplie Jones de le tuer. Il se rapproche alors du Roi Lear, mais un roi dérisoire, dont le royaume est un désert. Car, on l’a souvent noté, Mann traite le western à la manière d’une tragédie ; ses personnages tourmentés se débattent dans des conflits moraux, luttent contre leur destin. Si Jones a refait sa vie (mais une vie extérieure au film), dans une ville baptisée symboliquement Good Hope, le passé ne meurt pas et revient à lui par une suite de coïncidences extraordinaires. Il doit l’affronter, c’est à dire tuer le « père » dans une lutte quasiment freudienne.
- © Carlotta Films
Dans cette richesse scénaristique, le personnage sacrifié est évidemment la femme. Billie se fait violenter, molester dès avant le début du film et la suite est un périple douloureux dans lequel son personnage effacé éprouve l’amour sans espoir. Sa dernière réplique exprime un fatalisme serein et raisonné qui donne une tonalité triste à ce happy end. Elle a participé à un jeu de dupes dont les règles lui échappent. Là encore, on retrouve la mise en abyme du cinéma : chaque personnage principal joue ou tente de jouer un rôle : Jones n’est pas le simple citoyen qu’il prétend, Billie se dit momentanément institutrice. Les dialogues sont également truffés de mensonges destinés aux autres et parfois à soi. Même les lieux sont contaminés : la ville et sa banque, terre promise du groupe, se résument à un bourg désert, défendu par une femme apeurée. C’est dans l’action et l’épreuve que chacun se révèle : témoin la mort héroïque de Sam, personnage falot et veule qui se sacrifie pour Jones.
Dans cette tragédie affadie, Mann utilise sa science du cadrage et du montage « évidents » qui sont l’apanage des maîtres. Rien d’ostentatoire ici, mais un goût du détail précis, imparable qui fait de chaque séquence une composition parachevée. Deux exemples suffiront : dans la cabane, un bandit est obligé d’en achever un autre. En un montage rapide, les visages des personnages se succèdent en gros plans, chacun révélant son caractère que la suite démontrera. Plus magistral, lorsque Jones affronte son cousin, Mann utilise le Scope et la profondeur de champ pour mettre dans la même image les protagonistes. Jamais le cadrage ne fait perdre de vue au spectateur les combattants, en une admirable gestion de l’espace.
Il faut prendre au sérieux le titre : c’est un condensé de western que propose ce film, un résumé de la carrière du cinéaste. Toute la réflexion sur la violence trouve ici son aboutissement. À la manière de Ford deux ans plus tôt dans La prisonnière du désert, Mann livre la quintessence d’un genre, laissant le champ libre à sa contestation, notamment celle du western spaghetti.
Le Blu-ray
Un Blu-ray magistral pour un western à voir, à revoir et à méditer.
Les suppléments
Quel festival ! Les bonus sont les mêmes que ceux du DVD sorti il y a quelques années, à l’exception près de la bande-annonce. Mais qu’importe tant la qualité réjouit. Un premier documentaire réussit le tour de force de faire en 13 minutes le résumé de la carrière de Mann : analyse par périodes, par thèmes, aperçu de la postérité. Le tout d’une efficacité et d’une intelligence confondantes. Bruno Putzulu lit ensuite la critique de L’Homme de l’Ouest par Jean-Luc Godard publiée en 1959 dans les Cahiers du Cinéma. Là encore en 13 minutes, le texte, évidemment très fin, est illustré par des extraits éclairants et des compositions "godardiennes". Un entretien entre Bertrand Tavernier et Pierre Rissent parachève le travail : l’un et l’autre sont des connaisseurs avisés et intarissables. En 21 minutes, on se sent plus subtil, plus riche. Carlotta nous prouve que le Blu-ray peut être (ou aurait pu être) au cinéma ce que la Bibliothèque de la Pléiade est à la littérature.
Image et son >
Malgré quelques rares défauts, l’image est resplendissante ; on a effacé les outrages du temps, avec une netteté inédite pour ce classique, l’image a gagné nettement en profondeur et correspond à des actuels plus actuels. Le son en mono 1.0 DTS HD Master Audio est là encore une réussite, avec des voix décomplexée, loin de tout étouffement ; la VO est cependant mieux traitée que la VF.
– Sortie Blu-ray : le 8 octobre 2014
- © Carlotta Films
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