Nouvelle variation sur le thème de l’île et du savant fou, L’expérience interdite renoue avec une tradition qui a trouvé ses lettres de noblesse avec H. G. Wells. L’île du Dr Moreau posait les bases d’une mythologie anthropomorphique, un monde hors du temps et de l’espace, où un génie méconnu mettait son talent et sa folie au service d’une pseudoscience qui n’avait pour but que de le substituer au créateur.

Beaucoup plus tard, Adolfo Bioy Casares reprenait le principe dans L’invention de Morel. Aujourd’hui, c’est Ook Chung qui s’y colle, avec cet "élevage d’écrivains" réduits à l’état de bêtes pour stimuler une production que projecteurs et paillettes vident de sa substance. Coréen, élevé au Québec, Ook Chung écrit en français et revisite en vrac quelques grands mythes, de l’île interdite à l’enfant sauvage, en passant par le Yéti et une petite sœur de la tour de Babel.

La métaphore s’enroule autour de ces images, centrée sur la souffrance comme condition unique à la création. La ferme à ours, où l’on extrait de la bile pour en faire des médicaments, les élevages d’huîtres perlières où l’on introduit l’élément de souffrance, le grain de sable autour duquel va se cristalliser la nacre, et, comme une évidence, l’écrivain - alchimiste, martyrisé, encagé, torturé, qui transforme toute cette fange en littérature.

Très loin, au-dessus de ces univers concentrationnaire, se profile la silhouette du Yéti, voué à l’éternelle solitude et à l’incompréhension des hommes, la bête humaine. Ook Chung multiplie les pistes, passe de décor en décor en resserrant sans cesse sa trame pour la fixer, débarrassée de ses digressions et effets de miroirs, sur le sens de la vie, la souffrance et la solitude. Une fable sur la création, et cette frontière, parfois si ténue, qui sépare l’homme de la bête.