Le 11 mai 2020
L’été des charognes de Simon Johannin décortique la décomposition de l’enfance dans une campagne rude et cruelle. Son premier roman est un récit âpre, magnifié par une écriture poétique.
- Auteur : Simon Johannin
- Editeur : Points
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 9 janvier 2020
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
L'a lu
Veut le lire
Résumé : « J’ai grandi à La Fourrière, c’est le nom du bout de goudron qui finit en patte d’oie pleine de boue dans la forêt et meurt un peu plus loin après les premiers arbres. La Fourrière, c’est nulle part. Le père il s’est mis là parce qu’il dit qu’au moins, à part ceux qui ont quelque chose à faire ici personne ne l’emmerde en passant sous ses fenêtres. Il y a trois maisons, la mienne, celle de Jonas et sa famille et celle de la grosse conne qui a écrasé mon chat, celle à qui il était le chien qu’on a défoncé avec les pierres et qui vient que de temps en temps pour faire ses patates et pour faire chier. »
Critique : Ce qui frappe en premier lieu, c’est la violence brute qui s’exprime sur les animaux. Rien ne nous est épargné des miasmes et de la puanteur des corps en putréfaction.
Aux yeux de cette famille d’éleveurs, pour qui l’élevage intensif et aseptisé n’est pas encore passé par là, il n’y a rien de plus naturel. La violence est quotidienne, et elle ne se contente pas d’être animale. Les coups tombent facilement : pas de temps pour la négociation, sauf si elle est commerciale, car il faut bien vivre de ses bêtes.
Les gamins doivent filer droit. Leur liberté, ils la trouveront dans les champs à jouer avec des cadavres, ou en collectionnant les plus beaux os qu’ils dénicheront, peu importe les corps dont ils proviennent...
L’ambiance de désolation est prégnante à travers les odeurs immondes et les excréments. On se lave quand on peut, dans la rivière ou dans la ferme, s’il reste de l’eau, après avoir abreuvé les animaux. On se rassure en humiliant ceux qui sont différents : les « gueux », ou les musulmans dont on se moque en jouant à « l’Arabe », beaucoup moins quand il s’agit de leur vendre des moutons.
Les gamins grandissent et mettent du Scorpion pour masquer les odeurs pestilentielles. Ils prennent le car scolaire qui les emmènera chez les grands, mais qui pue autant que l’équarrisseur, quand il passe devant les usines de la région.
Dans ces « localités en fin de vie », dont ils sont les « bouseux », on abat, on dépèce et on plume, « imprégnés de cette odeur de charogne » et au son du bruit des viscères qui tombent et du « cri que fait le sang quand il coule ». Heureusement, il y a des moments de convivialité et de solidarité, même si les enfants finissent souvent par raccompagner leurs parent saouls comme des « bêtes molles dans du formol », en conduisant eux-mêmes les voitures sur les chemins vicinaux.
Ce récit âpre et rude, presque infesté d’une atmosphère vénéneuse, ne peut être conseillé qu’à un public averti. Pourtant, c’est une écriture lumineuse qui éclaire sa lecture d’une poésie noire, mais jubilatoire. Le narrateur voit son enfance partir en fumée dans les effluves pestilentielles d’un monde en décomposition, entre « les bêtes, les champs, et les cuites » et il part se réchauffer au soleil de l’amour :
« Sont sortis partout de nous de l’énergie et des liquides, et sa mâchoire dictait la pulsation. Je suis tombé du bord du monde dans son odeur d’envoûtement, je suis allé et venu dans le nœud sous sa peau, j’ai pris le jus sur sa langue et avalé l’eau dans sa bouche, courbé le mouvement de sa nuque sur un rythme qui nous venait de ce qu’il y a derrière le désir.
Elle m’a traversé comme une cascade de lumière. »
L’été des charognes est l’occasion de découvrir la prose poétique de ce jeune auteur Simon Johannin, à travers ce premier récit, qui, s’il n’invente rien dans le genre du roman noir, le magnifie grâce à un style unique et poétique. Aussi hallucinée que lucide, son écriture prendra encore de l’ampleur avec Nino dans la nuit, co-écrit avec sa femme Capucine. Une plume acérée dans une encre vibrante, à découvrir assurément.
Simon Johannin – L’été des charognes
Éditions Points
17.8 x 10.8 x 1.0 cm
157 pages
La chronique vous a plu ? Achetez l'œuvre chez nos partenaires !
Galerie photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.