Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre ?
Le 12 octobre 2019
L’ennemi japonais à Hollywood aurait pu être un documentaire précieux s’il ne nageait pas dans un certain confusionnisme et réussissait à éviter les travers de notre époque.
- Réalisateurs : Clara Kuperberg - Julia Kuperberg
- Genre : Documentaire
- Durée : 52 min.
- Date télé : 13 octobre 2019 23:00
- Chaîne : OCS Géants
- Date de sortie : 13 octobre 2019
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Résumé : Le « Whitewashing », pratique consistant à faire jouer des rôles de Noirs, d’Asiatiques, ou de non Blancs par des acteurs blancs, a toujours cours dans le cinéma américain en dépit du vent de révolte qui souffle enfin à Hollywood, notamment avec des films comme "Crazy Rich Asians" ou "Black Panther". Le documentaire "L’ennemi japonais à Hollywood" décrypte ce phénomène à travers l’histoire méconnue des Japonais à Hollywood.
Notre avis : On peut observer dans l’histoire des idées, de même que dans l’économie, des manières de cycles : nous en sommes ainsi revenus à une époque comparable à celle des années soixante et soixante-dix, placée sous le signe des revendications communautaires, des doléances d’autant plus honorables que personne ne peut contester qu’elles soient, dans leur immense majorité, légitimes.
Le documentaire de Clara et Julia Kuperberg, sélectionné au Festival Lumière, nous permet ainsi de mieux comprendre comment Hollywood s’est associé aux discriminations et aux abus qui ont été commis aux USA, à l’encontre des Japonais et des Américains d’origine japonaise, et par quels mécanismes, en entretenant des clichés racistes, l’industrie du cinéma a favorisé la décision par le gouvernement de leur détention dans des camps d’internement.
- Copyright : Wichita Films
Le souci majeur est toutefois que, dans leur élan de compassion, les deux réalisatrices et les universitaires qu’ils interrogent, omettent bien souvent de contextualiser les phénomènes qu’ils décrivent : et lorsqu’ils dénoncent à juste titre les images de propagande que l’on déversait durant la Seconde Guerre Mondiale, à travers les brèves cinématographiques et même les dessins animés, dans les salles américaines, ils en oublient de préciser que l’aviation nippone avait attaqué Pearl Harbor par surprise, mais aussi et surtout que le Japon vivait à l’époque sous le joug d’un régime militariste et, en l’occurrence, fondamentalement raciste, dont l’impérialisme se rendit coupable de centaines de millions de victimes en Asie du Sud-Est. Les images tournées par Frank Capra sont donc aujourd’hui scandaleuses mais elles correspondent, à l’époque de leur production, à l’impérieuse nécessité de la guerre qu’on imposait aux Américains : elles caricaturent d’ailleurs moins le peuple japonais dans sa diversité que les soldats de l’armée impériale, dont certains ont perpétré des assassinats de masse et étaient objectivement des agresseurs qui devaient être repoussés. Il aurait donc été judicieux, plutôt que de porter des jugements moraux a posteriori sans se soucier des dangers de l’illusion rétrospective, d’interroger des témoins de cette époque, afin d’analyser le mécanisme tragique qui a amené des images produites pour la défense d’un pays, les États-Unis, à se retourner contre d’innocents Japonais qui y vivaient, mais aussi et surtout contre les Américains d’origine japonaise, qui s’efforçaient de s’y intégrer.
- Copyright : Wichita Films
L’ennui est, ensuite, qu’à trop vouloir dénoncer la réalité du racisme dont a pu faire preuve la société américaine, le documentaire en vient à minimiser les occasions, trop rares mais pourtant réelles, où elle s’est, même par le passé, montrée tolérante : le film fait ainsi de Miyoshi Umeki une actrice instrumentalisée et réduite au rôle de simple objet de désir, sans préciser qu’elle fut récompensée par un Oscar. De même, Samuel Fuller est présenté comme un avant-gardiste pour son film Le Kimono rouge (1959) alors qu’il se contentait de décrire la société de son époque ainsi qu’en témoigne le fait qu’il s’est inspiré, pour écrire le personne de James Shigeta, d’un détective de la police de Los Angeles, Joe Tanaka, qui a réellement existé.
- Victoria Shaw et James Shigeta dans "Le kimono rouge"
- Copyright : Columbia Pictures
Les intervenants versent également trop souvent dans l’approximation en ne parlant pas uniquement des Japonais, mais des Asiatiques, voire des Noirs Américains (d’ailleurs, chaque fois que Nancy Wang Yuen intervient, c’est pour aborder le sujet des Sino-américains, qui la passionne à bon droit, mais qui n’est pas celui qu’indique le titre du reportage). Or, pour des raisons tant historiques que géopolitiques, ces différentes communautés ont entretenu avec les États-unis des relations différentes et le traitement imposé aux uns ne permettent pas d’éclairer le sort réservé aux autres.
- Sessue Hayakawa et Anna May Wong dans "Daughter of the Dragon"
- Copyright : Paramount Pictures
Enfin, les sœurs Kuperberg ne parviennent jamais à appréhender les phénomènes dans leur complexité. Tous s’indignent ainsi du rôle de Sessue Hayakawa dans Forfaiture (The Cheat) (1915) de Cecil B. DeMille, mais passent sous silence les personnages positifs qu’il a interprétés : il fut ainsi, au-delà des clichés, dans Daughter of the Dragon (1931), un inspecteur de Scotland Yard, une sorte de Charlie Chan, à la recherche de Fu Manchu, qui était pour sa part incarné par un acteur blanc. De même, tous s’insurgent légitimement contre les yellowfaces, mais personne ne prend la peine de dire que des acteurs asiatiques ont eux aussi joué des personnages appartenant à d’autres ethnies, et notamment le même Sessue Hayakawa, qui incarna notamment un Indien dans The Victoria Cross (1916) et un Mexicain dans El Jaguar (The Jaguar’s Claws) (1917). Ce dernier dut d’ailleurs, ironiquement, rendre compte, devant un tribunal, de la manière dont il avait représenté la communauté chinoise dans Le lotus d’or (The Tong Man) (1919), un film produit par la société que son immense succès lui avait permis de fonder aux États-Unis.
- Bienvenue au Paradis (1990)
- Copyright : Twentieth Century Fox
Mais le plus paradoxal est que le documentaire s’achève par un long passage consacré au film Bienvenue au paradis (Come See the Paradise) (1990) : or, si ce long-métrage d’Alan Parker n’était pas exempt de défauts, il avait le mérite de montrer, en évoquant, parmi d’autres figures d’Occidentaux particulièrement contestables, un père japonais hostile à l’idée d’accueillir dans sa famille un gendre blanc, que l’intolérance n’avait pas été l’apanage des seuls Américains. Le couple mixte dont il racontait l’histoire d’amour se retrouvait ainsi confronté aux remous de la grande Histoire, dans un scénario dont le tragique reposait sur le terrible constat que, pour paraphraser Jean Renoir, « tout le monde a ses raisons ». Un sens de la nuance dont L’ennemi japonais à Hollywood manque malheureusement cruellement.
Ceux qui souhaiteraient une étude approfondie et sérieuse sur la question peuvent se référer à l’excellent ouvrage collectif L’Asie à Hollywood publié en 2001 aux éditions Cahiers du cinéma, auquel cet article doit la plupart de ses références.
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