Ne comptez pas sur Jean-Paul Kauffmann pour s’appesantir sur les raisons de son voyage, ce n’est pas le genre d’homme à porter ses meurtrissures en bandoulière. Il marche, prend le bateau, fait halte en compagnie de scientifiques, de militaires, se remplit les yeux d’un paysage de bout du monde et se souvient de ceux qui l’ont précédé ici, dans ces îles inutiles, perdues dans les mers australes.

Basalte, tourbe, le sol est une sorte d’éponge hérissée de rocs, tapissée de plantes étranges, l’eau dégouline et glougloute sans discontinuer, ici des moutons, là des mouflons, plus loin, des chats retournés à l’état sauvage, des hordes de lapins, des troupes d’éléphants de mer, dans le ciel aux humeurs changeantes, des oiseaux inquiétants. On ne peut s’empêcher de tenter de décrypter cette relation dépourvue de lyrisme et d’emphase. Ce chapelet d’îles qui n’existent"que par la force de l’illusion" : symbole des trois ans de réclusion de Jean-Paul Kauffmann, otage au Liban ? Et toutes ces tombes qu’il relève, celles de marins, de baleiniers anonymes : sa lutte contre l’oubli, un hommage à son camarade Michel Seurat, détenu avec lui, jamais retrouvé ?

Au détour d’une courte phrase, il lâche enfin qu’il est venu ici à la quête "d’une vérité cachée". Ce voyage, exorcisme à sa propre souffrance. On ne revient jamais entier des Kerguelen, encore moins lorsqu’on ne les a pas abordées intact. Longtemps après avoir refermé ce livre pudique et envoûtant, soufflera à vos oreilles le vent qui polit et purifie tout, le vent des îles de la Désolation qui proclame "l’absolue fluidité des choses".