Balle explosive
Le 19 mars 2024
Un improbable croisement de parties de baseball, d’amourettes passagères et de règlements de compte sanglants. Jugatsu fait éclater au grand jour les obsessions de Kitano, qui signe là son film le plus personnel.
- Réalisateur : Takeshi Kitano
- Acteurs : Takeshi Kitano (Beat Takeshi), Yûrei Yanagi (Masahiko Ono), Dankan (Minoru Lizuka), Yuriko Ishida, Eri Fuse
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters, Film de gangsters, Comédie policière
- Nationalité : Japonais
- Durée : 1h33mn
- Titre original : 3-4xJugatsu
- Date de sortie : 14 avril 1999
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– Année de production : 1990
Résumé : Pour avoir décoché un coup de poing à un yakuza énervé par sa lenteur, Masaki, jeune pompiste quelque peu hébété, se retrouve dans une situation délicate. Effrayé par les conséquences de son acte et les menaces de destruction qui planent sur la station-service, il demande de l’aide à l’entraîneur des Eagles, l’équipe amateure de baseball dans laquelle il joue. Ce dernier, lui-même ancien yakuza, se fait vertement recevoir et humilier par le chef du gang. Livré à lui-même, Masaki part pour Okinawa avec Kazuo, un de ses coéquipiers, à la recherche d’une arme pour se protéger.
Critique : Dès les premiers instants, le sens du burlesque kitanien, un peu potache, fait mouche. Un plan indistinct et calfeutré se révèle être l’intérieur d’un cabinet de toilette où se trouve un joueur de baseball indisposé. Passée la symbolique scatologique, on peut y voir les prémices de l’idée centrale de Jugatsu : le cloisonnement d’un adolescent (Masaki) dans l’impossibilité d’agir. Décidément chez Kitano, la jeunesse n’a pas le beau rôle.
Figure centrale du film, ce personnage se tient néanmoins à l’écart de l’action, atteint par une indifférence globale à ce qui l’entoure. Kitano l’exclut par une mise en scène claustrophobe. Le cinéaste resserre ses plans sur le visage, désamorçant par là même toutes tentatives d’action, celles-ci demeurant le privilège du hors-champ. Et, lorsque l’action s’invite à l’exposition frontale de la caméra, par le biais de Masaki, elle semble se mourir d’elle-même, absolument vaine et inefficace à la manière de son initiateur.
Ainsi, tout ce qu’il entreprendra finira par s’émietter sous ses pieds, comme une sorte d’incurable inertie condamnant le jeune pompiste à cette perpétuelle inconsistance. Kitano suivra sa lente dérive jusqu’à la rencontre avec des caïds d’Okinawa. Masaki se retrouve entraîné dans les décadences mafieuses, confrontant sa nonchalance à l’impérieuse déraison de la bande à Uehara (T.K.). Comme souvent chez Kitano, les yakusas, à la fois attachants et cruels, se dépensent dans des actes de soudaine violence en radicale opposition avec l’attentisme des jeunes. Or, à l’inverse de Masaki & consorts, les décisions brutales des voyous nippons sont dévoilées avec froideur, sans pour cela s’avérer plus efficace. Elles ne déclenchent, en effet, qu’une mécanique mortelle et sans issue.
Kitano désagrège les logiques de l’action par un jeu de piste hasardeux, plus fragmenté encore que dans Violent Cop, où chaque acte peut engendrer une nouvelle voie narrative. Pourtant, le cinéaste s’amuse à conclure ces ouvertures aussi vite qu’elles sont arrivées. En procédant ainsi, il stérilise la construction logique du film par l’action, créant plutôt une succession de sketches. Mais, à force de casser, il faut bien avouer que l’on s’y perd un peu, regrettant parfois de ne pas voir certaines saynètes plus abouties.
Ce second long métrage s’appréhende comme un essai intriguant sur la composition et la logique dramaturgique. Aussi virulent que ses personnages, Kitano donne un coup de pied magistral à un certain classicisme dans les films de gangsters. Sachant qu’il a pour la première fois l’entière responsabilité du scénario et du montage, on peut assimiler cette audace à une envie naïve de créer en s’amusant. Bien qu’il stigmatise le comportement désinvolte d’une jeunesse japonaise quelque peu décontenancée, Jugatsu demeure une attraction poétique, où l’humour (noir) et la forme (libre) font oublier les défauts « de jeunesse » du réalisateur japonais.
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