Le 20 mai 2020
Sordide, brutal, ce journal n’en perd pas pour autant la suavité des mots de Nabokov et leur poésie. Après le point du vue du bourreau, c’est la victime qui s’exprime, qui raconte son calvaire – et à travers elle, Christophe Tison qui s’épanche.
- Auteur : Christophe Tison
- Editeur : Edition Goutte d’Or
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 22 août 2019
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Résumé : Lolita, la nymphette de Humbert Humbert racontée par Vladimir Nabokov en 1955, se voit donner une voix. Elle a droit à la parole et cette fois, c’est elle qui fait le récit de la vie avec son beau-père, Européen pédophile qui l’entraîne sur les routes américaines, de motel en motel, de ville en ville. Humbert et ses faux remords est muet, ou presque, et c’est l’adolescente qui s’exprime, qui rêve et s’évade, espère et tente de comprendre.
Critique : La plume de Nabokov est immémorable et pour qui a déjà lu Lolita, la poésie de ses mots reste ancrée à jamais, à la fois âcre et lumineuse, passionnée et confondante. Sans dénoncer directement, il pointait du doigt, sans condamner explicitement, il laissait entendre qu’il désapprouvait ardemment.
Le Journal de L. s’ouvre alors que Charlotte Haze, la mère de Lolita, est déjà morte – le calvaire de l’enfant commence. Lolita débutait bien plus tôt, avant même que Humbert n’ait posé un pied sur le sol américain, revenant à ses tendres années, racontant l’origine du mal, de la tumeur, de la pédophilie. Cette fois, après le point de vue du bourreau – choix narratif qui avait tant fait jaser au temps de Nabokov – c’est la perspective de la victime qui est donnée à lire. Lolita confie tout à son journal, raconte le quotidien, les amis, les railleries à l’école, les abus, les viols, les fugues. Mais aussi les plaisirs simples, les glaces, les draps blancs, les bains, l’océan, le ciel, les étoiles. Les motels miteux où l’entraîne son beau-père, la route interminable, le soleil qui brûle et les chambres qui se succèdent et se ressemblent, luxueuses ou sordides, toutes les mêmes. L’impression de plonger dans un conte, déjà vive à la lecture de Lolita, est ici presque frappante : l’ogre et la fillette, ou plutôt les ogres, secondés de sorcières et de gnomes, de loups voraces. « La lumière et la rouille », encore, toujours.
Christophe Tison a un style envoûtant, ses mots ont un rythme qui enivre, habités qu’ils sont. Couplets prosodiques, rimes internes, métaphores, assonances, mélodie qui fait vibrer le lecteur malgré la douleur qui se dégage des phrases. Douleur vive puis douleur résignée avant de devenir douleur insupportable. Le dernier tiers du Journal de L., alors que l’héroïne a quitté Humbert pour mieux tomber entre les griffes de Clare, est éprouvant, à la limite du tolérable. L’industrie du porno envahit les lignes pour laisser le lecteur pantois et pantelant, presque incapable de tourner les pages, alourdies de brutalité et de sperme. Les quelques phrases finales, à peine plus douces, ne parviennent pas à apaiser la plaie à vif, brûlant la peau, les doigts qui touchent le papier. L’histoire de Christophe Tison qu’il relatait dans Il m’aimait, paru en 2004, explique sans doute son acuité, son empressement à se glisser dans la peau de la nymphette victime, la facilité avec laquelle il adopte le « je » pour décrire les abus dont elle est victime – sa peine, son épreuve, il l’a connue.
Sont à noter quelques petites entorses au texte original, à la trame déroulée par Nabokov que Tison est malgré tout contraint de suivre – Richard, le compagnon de notre jeune héroïne est surnommé Dick dans la version originale, et non Rick, pour ne citer qu’un seul exemple.
Ce livre est une lettre ouverte, un pamphlet, une dénonciation du viol, de la pédophilie, du silence qui étouffent et font mourir les victimes, telles des braises privées d’oxygène. Parfois trop dur et trop brutal, trop sordide et trop écœurant, Journal de L. n’en est pas moins la partie cachée de l’iceberg, l’autre face de la lune, indispensable à la compréhension de la totalité. Lolita et le Journal de L ou les deux moitiés d’un cœur qui se répondent.
Christophe Tison - Journal de L.
Les éditions Goutte d’Or
280 pages
13cm x 19cm
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