Les Fusibles - Joseph Safieddine, Cyril Doisneau - la chronique BD

Critique : Situer une histoire à Beyrouth, c’est toujours faire flotter cette impression de ville en ruines, de pays en lambeaux, de survivance urbaine avec une capitale s’accommode de cet état depuis des décennies. Les Fusibles, en se rattachant par son titre à un élément simple mais ô combien important de la vie quotidienne, ne fait pas exception à la règle et s’intègre dans cette architecture narrative propre au Liban. Ce pays se voit plongé dans un chaos perpétuel qui est devenu son habitude. En son épicentre, la capitale, trois jeunes gens tentent de grandir, dans une histoire où la famille prend le pas sur toute considération politique, où le besoin individuel reste au premier plan, loin devant le destin d’une patrie. Et pourtant, malgré ce choix de voir évoluer deux amis d’enfance, l’un parti, l’autre resté, la solidarité de quartier, l’universalité des envies, l’attachement viscéral à ce qui les relie, toutes ces valeurs personnifiées par le personnage récurrent de l’enseignante, tout dans Les Fusibles respire le Liban.

© Dupuis / Doisneau

Le dessin de Cyril Doisneau évoquera à certains ce ton sobre mis en avant par Guy Delisle, avec des personnages vadrouilleurs, roublards, des mines à peine exagérés face à l’ennui, la gêne ou la petite rancœur. Sourires d’un trait qui viennent percer l’ambiance rude des décors faits de fissures dans les murs, de fêlures sur les trottoirs et les routes, de climatisations en panne et d’escaliers plongés dans le noir. On insistera sur l’importance des gouttes de sueur, enjeu crucial d’un confort amputé, qui fait supporter un double accablement aux personnages : physique donc, en plus de celui psychologique qui les accompagne depuis ce flash-back qui n’en finit pas, ou plutôt finira de manière trop brutale.

© Dupuis / Doisneau

Roman graphique entêtant sur une capitale unique en son genre, Les Fusibles jongle entre espoirs et regrets tout au long d’une histoire toute banale, que l’on pense propre à une ville, mais en réalité profondément universelle.