Critique : Ce court livre est un texte de théâtre, un seul en scène jouée par Alice Zeniter elle-même qui a créé la pièce en octobre 2020. D’emblée, elle instaure avec son lecteur/spectateur une complicité et une forme de dialogue, via lesquels elle se livre à un exercice de vulgarisation des notions de sémiotique et de narratologie, pour démontrer comment le récit modèle et fige notre imaginaire, déterminé par des schémas millénaires. S’appuyant sur des figures d’autorité comme Aristote, Ursula Le Guin, Umberto Eco ou Frédéric Lordon, l’auteure de « L’Art de perdre » rend compte de l’archétype universel : « une bonne histoire, c’est l’histoire d’un homme remarquable qui fait des trucs – de préférence violents ». En effet, celui qui agit est presque toujours un héros masculin, la femme quant à elle est réduite à un rôle passif, au mieux adjuvant. Or, cette représentation des genres n’est pas une fatalité : des récits que l’on croyait immuables évoluent, tels les discours scientifiques qui attribuent désormais à l’appareil reproducteur féminin un rôle autre que celui de simple réceptacle. Si, grâce au fameux pacte de lecture et au phénomène d’identification, on accepte que le roman soit le lieu de la vérité, c’est par ce biais romanesque que nos perceptions s’enrichiront, l’auteure étant persuadée que la fiction agit sur le réel. Beaucoup de travail reste à accomplir par les femmes pour écrire l’altérité, mais quel formidable défi que de se joindre au cortège de grandes voix comme celles de Toni Morrison ou Virginie Despentes. L’exercice est en tout cas réussi par Alice Zeniter dont le propos est ici pédagogique, intelligent, drôle et vif !