Will Eisner .New York Trilogie. Intégrale - La chronique BD

Big City, ou New York Trilogie, est peut-être le chef d’œuvre, représente en tout cas la quintessence du travail de Will Eisner. En effet, si son œuvre est grandiose, ce n’est pas parce qu’elle évoque les célèbre gratte-ciels ou la hauteur de la Big Apple, mais bien parce qu’elle a su trouver la beauté, le rire et la peine, à vrai dire l’humain, dans les rues, souterrains et caniveaux de cette gigantesque métropole. En jonglant avec l’espace et le temps, le bruit et l’odeur, l’auteur est parvenu à animer chaque mur, chaque bouche à incendie, chaque passant. Ses meilleurs dessins sont d’ailleurs muets, sans récit ou chronologie, autant de fragments d’une réalité quotidienne, d’une habitude persistante ou d’une simple journée dans la cité qui ne dort jamais. Populaire, parfois grossier, souvent moqueur mais toujours tendre, ce narrateur effacé semble planté comme un lampadaire, témoin patient et amoureux des gens, de leurs défauts en particulier. C’est dans cette relation de voyeur attentif et compréhensif que le lecteur s’invite à son tour, épousant rapidement le point de vue d’un poète de la ville, au même titre qu’un Paul Auster pour le roman ou d’un Woody Allen pour le cinéma, mais aussi dans la veine des plus français Baudelaire ou Apollinaire pour ce regard nouveau et novateur sur un objet souvent délaissé.

Will Eisner / Delcourt

Celui qui a été sacré meilleur dessinateur de comic-book par le NCS de l’après-guerre a bel et bien un style propre, une empreinte inégalable, une richesse léguée aux générations suivantes. Son réalisme, étrangement, n’est jamais froid ou figé, il insiste plutôt sur le mouvement, que ce soit l’effluve ou l’empressement, pour toujours s’envoler malgré l’immobilisme du béton. Pas seulement les personnages, mais les rues, les perrons semblent virevolter. Ils ne grandissent ou ne rétrécissent jamais, car les plans ne sont jamais changeants, toujours serrés, cependant une impression de rêve flottant, de petite parcelle d’éternité volée se dégage à chaque fois. Sempé dispose lui aussi ce pouvoir, et parvient à rendre ce monde urbain complice au lecteur. Eisner a lui le pouvoir de ne pas le défigurer, sacrifiant un peu de lumière, rendant davantage justice à un monde contrasté.

Will Eisner / Delcourt

Parmi les grands patriarches du comic, Will Eisner est l’une des figures mythique, voire bibliques. Cette intégrale sur New York l’est d’ailleurs, tant elle permet un immersion sacrée dans les tréfonds originels de l’image de cette ville.