La voix de la lumière
Le 3 novembre 2004
Pour évoquer l’indicible, la souffrance ultime, il y a deux voies. L’épanchement littéraire et les mots peuvent dégouliner de mièvrerie et de sentimentalisme. Isabelle Jarry a choisit la seconde : celle de l’ascèse verbale.
- Auteur : Isabelle Jarry
- Editeur : Stock
- Genre : Roman & fiction
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Il en faut des mots et des phrases avant d’avoir accès à l’histoire douloureuse de Marie. Un paradoxe pour cette narratrice qui se passionne pour la poésie française, au point d’en avoir fait son métier : elle a publié quelques recueils, écrit des articles... Mais c’était avant... Avant le chagrin immense, avant la perte, avant la déchéance. Car la vie parisienne de la poète s’est irrémédiablement dissoute : il ne reste rien. Philippe, son mari est mort soudainement, l’entraînant dans une fulgurante descente aux enfers : les amis qui vous fuient, l’argent qui vient à manquer, l’expulsion, l’exclusion...
En partant vivre à la campagne, Marie espère se reconstruire et surtout pouvoir récupérer Nisa, sa fille que les services sociaux lui ont arrachée. Mais les épreuves ne s’arrêtent pas là, comme si pour retrouver le chemin de la lumière, il fallait avoir côtoyé le trou noir de l’enfer. À se couper du monde de la sorte, elle a perdu le sens des mots : « on » lui a enlevé la parole, un calvaire. « Les mots qui m’avaient accompagnée, bercée de leur musique, toujours réinventée, s’en allaient, s’éclipsaient en douce, sans bruit, et cette fuite liquide, à pas feutrés, m’était plus violente qu’un déchirement brutal, elle me faisait l’effet d’une impensable trahison, d’un choc effroyable. »
J’ai nom sans bruit aurait pu tomber dans le roman social ou se limiter à jouer de la corde sensible : un tel sujet s’y prêtait. Mais il n’en est rien. Isabelle Jarry a choisi une voie plus abrupte et le terrible mal qui ronge la narratrice prend corps dans l’écriture et les mots de l’écrivain, ou plutôt dans l’absence de mots. Car la plume de l’auteur se dépouille de tous les artifices linguistiques et lexicaux : pour atteindre la pureté, et il semble que cela vaille aussi pour la littérature, il faut se débarrasser de l’insignifiant et du frivole. Seul subsiste alors le sens de la vie. Bouleversant.
, J’ai nom sans bruit, Stock, 2004, 216 pages, 17,50 €
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