Le 16 janvier 2021
- Réalisateur : Jean-Paul Salomé
A l’occasion de la sortie en VOD/DVD/BRD, le 13 janvier, de son dernier long-métrage, La Daronne, avec Isabelle Huppert dans le rôle principal, le réalisateur Jean-Paul Salomé nous a accordé une interview avec une extrême amabilité.
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aVoir-aLire : La Daronne est l’adaptation du livre éponyme de Hannelore Cayre. L’ouvrage a raflé deux prix littéraires : Le Grand Prix de littérature Policière et Le Prix Le Point du Polar Européen. Comment s’est passée la scénarisation du film de concert avec l’auteure ?
Jean-Paul Salomé : Cela s’est très bien passé. C’était une condition de cette adaptation. Quand j’ai lu le livre et que j’ai rencontré ensuite Hannelore Cayre, l’auteure, elle avait l’envie de participer de manière active au scénario et d’en être la coscénariste. Cela ne me dérangeait pas. Au contraire, je trouvais que c’était intéressant. Dans un premier temps, nous avons travaillé tous les deux à une première adaptation de son livre. Son ouvrage était déjà très visuel. Nous avons pris la décision commune de sacrifier le premier quart de son œuvre, qui raconte l’enfance du personnage principal, Patience Portefeux, campée par Isabelle Huppert. Et c’est vrai que dans le cadre d’un long-métrage, d’une durée classique, de 1h45 à 2h00 maximum, c’était un peu compliqué d’intégrer une telle partie. Nous l’avons cependant infusée dans le film via des allusions, des références, des dialogues, tout en abandonnant l’idée d’un flashback, pour se concentrer sur le temps présent. C’était un premier point de vue que nous avons eu assez rapidement. Il y a des choses qui passent très bien à la lecture, mais sont plus difficiles à retranscrire à l’écran. Il y avait une autre option à aborder ou non : dans le livre, il y avait une sorte d’absence de danger dans la dernière partie. Cette femme détourne tout de même 1,5 tonne de shit. Si la police était sur les dents, les propriétaires de ce shit étaient étrangement absents. Nous avons travaillé le tout avec Hannelore et avons développé, ce qui ne figurait pas dans le livre, les personnages des deux brutes, les frères Cherkaoui qui recherchent leur dû. Et puis, il y a des personnages que nous avons aussi développés, parce qu’ils étaient assez embryonnaires dans le livre. A savoir le chef de la brigade des stups joué par Hippolyte Girardot, qui est l’amoureux transi d’Isabelle Huppert, et puis le personnage de la Daronne chinoise, Madame Fo, certes esquissée dans le livre, mais qui méritait d’être davantage d’être mise en avant. J’aimais tous ces personnages de femmes autour d’elle : l’infirmière marocaine, Khadidja, n’est pas à oublier. Chacune dans sa vie doit gérer ses problèmes et essaie de s’en sortir. Ce sont des femmes seules. L’été avant le tournage, on a remanié un peu l’ensemble avec un troisième œil en la personne de mon fils. Il est un peu tombé dans la marmite quand il était petit. Il nous a permis de huiler au maximum le scénario.
aVoir-aLire : Vous chouchoutez votre public avec des castings de haut vol. Romain Duris et Kristin Scott Thomas dans Arsène Lupin ; Sophie Marceau et Julie Depardieu dans Les Femmes de l’ombre. Le choix d’Isabelle Huppert pour jouer Patience Portefeux alias La Daronne a-t-il été une évidence ?
Jean-Paul Salomé : Oui, tout à fait. Il se trouve que ces dernières années, pendant quatre ans et demi, j’ai été le président d’Unifrance qui se charge de la promotion du cinéma français à l’international. A la fin de mon mandat, nous nous sommes souvent retrouvés en voyage avec Isabelle Huppert, qui à l’époque présentait le film Elle de Paul Verhoeven, à travers le monde, avec toute la campagne des Oscars et Golden Globes. Nous avons appris à nous connaître. Et tout de suite, il y a quelque chose qui m’a surpris et enthousiasmé : c’était qu’elle était partante, curieuse, et joyeuse, contrairement à l’idée qu’on pouvait avoir d’elle. Elle m’a dit avoir l’envie de travailler avec moi si j’avais un jour une comédie à lui proposer. Ce qui m’a fait plaisir. Vraiment par hasard, dix jours plus tard, j’ai lu le livre La Daronne. Et là, deuxième hasard, je contacte Isabelle Huppert, taillée pour le rôle principal : elle venait elle aussi de dévorer La Daronne. Elle a dit oui pour se pencher sur le scénario que j’ai écrit spécialement en pensant à elle, ce qui est quand même très rare. C’était une chance, en même temps.
aVoir-aLire : Nous savons qu’Isabelle Huppert maîtrise la langue russe. Pour les besoins de son rôle, a-t-elle appris réellement la langue arabe ? Est-elle une actrice perfectionniste ?
Jean-Paul Salomé : C’est une grande bosseuse. C’est sa légende. C’est sa réputation. Mais c’est vrai. Elle a appris des rudiments. Elle a appris phonétiquement. Elle n’a pas appris à parler arabe. En tout cas, pour donner de la crédibilité au film, elle a pris des cours, elle avait un prof, elle avait un coach. On lui avait enregistré tous les dialogues. Elle a appris phonétiquement, syllabe par syllabe, et ça a été incroyable. En fait, on avait prévu avec elle, et elle était d’accord, une personne pour éventuellement la doubler. Mais elle était tellement appliquée que le besoin ne s’en est pas fait sentir. Elle avait certes un accent européen. Mais elle a vraiment fait un bon boulot et l’on y croit totalement.
aVoir-aLire : La Daronne oscille entre divers genres : une certaine tonalité dramatique avec la mère de Patience Portefeux (Liliane Rovère) en EHPAD, une comédie avec le duo de dealers patauds ou le mariage chinois, un polar vraiment bien ficelé. Ce mélange est séduisant. La Daronne est-il, à vos yeux, votre film le plus abouti ?
Jean-Paul Salomé : En tout cas, dans le mélange de la comédie policière, oui. Tous mes films ne sont pas des comédies policières. J’ai certes puisé dans le livre, mais j’ai apporté d’autres choses. Ce que m’a dit d’ailleurs Hannelore Cayre, et qui m’a beaucoup touché, c’est qu’en voyant pour la première fois le long-métrage, elle percevait en plus de son ouvrage, un supplément d’émotion que j’avais amené avec Isabelle et par conséquent sur son personnage. Ce personnage de Patience Portefeux, femme avant tout, qui est à un tournant de sa vie, une vie ni rose ni folichonne, et va devenir La Daronne, concrétise l’envie de vivre des choses plus folles et extravagantes. Du coup, le mélange a été harmonieux et réussi grâce à Isabelle et aux comédiens. Réussi aussi parce que Isabelle a ce talent, qui n’est pas si aisé que ça, de pouvoir mettre de la comédie dans le drame et inversement. Isabelle y excelle, notamment avec des ruptures de ton ou encore dans sa gestuelle. C’était un peu comme de la cuisine avec une pincée d’humour, quand on ne l’attend pas forcément. Donc oui, l’ensemble est réellement abouti.
aVoir-aLire : A quel âge êtes-vous tombé dans le chaudron magique du cinéma ? Vous avez huit longs-métrages à votre actif dont le premier, Les Braqueuses, est sorti en 1994. Vous vous destiniez très jeune à être réalisateur ?
Jean-Paul Salomé : Mais avant, j’avais tourné un long-métrage pour Canal+, Crimes et jardins, en 1990, avec déjà un casting incroyable pour une télé, avec Zabou et toute une pléiade d’acteurs. Je suis tombé très jeune, pour répondre à votre question. A dix ans exactement. De manière totalement inattendue, car mes parents n’étaient ni dans l’artistique, et encore moins dans le cinéma. J’allais au cinéma. Je voyais des choses. Je ne sais pas pourquoi mes parents m’ont amené voir un week-end, un film aucunement destiné aux enfants, Le Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. Puis le lendemain, ils m’ont emmené voir un autre film, Le Voyou de Claude Lelouch, avec Jean-Louis Trintignant. C’est là que je me suis dit que j’avais envie de faire du cinéma. Puis j’ai compris aussi que deux cinéastes différents pouvaient faire deux polars différents, et que cela ouvrait un grand champ de possibilités. Voilà. J’ai été fasciné par ces deux films. Et à partir de là, clairement, j’ai dit à mes parents : "je veux faire du cinéma." Au départ, ils ont pris ça pour un amusement de gamin puis j’ai enchaîné avec des films en super 8. Cette passion m’est venue très tôt et ne m’a jamais quitté.
aVoir-aLire : En ce qui concerne votre formation, vous avez suivi une licence de cinéma. C’était un bagage très théorique ?
Jean-Paul Salomé : En fait, c’est parce qu’à l’époque, pour rassurer mes parents, il fallait faire un minimum d’études. Je voulais rentrer à la Fémis, qui s’appelait à l’époque l’IDHEC. Pour préparer le concours de l’IDHEC, on conseillait à l’époque de faire une licence de lettres modernes, avec option cinéma à La Sorbonne-Censier. J’ai passé le concours de l’IDHEC, où je me suis rétamé à l’oral face à un cinéaste qui n’a pas été très cool et sympa avec moi. Cela m’a dégoûté et je me suis dit que je ne retenterai jamais l’IDHEC. Par conséquent, j’ai suivi ma route en parallèle, j’ai écrit, tourné, fait un peu d’assistanat en tant que stagiaire pour Les uns et les autres de Claude Lelouch. Après je souhaitais cependant réaliser, et Crimes et jardins, tourné en 35mm et en six semaines, ce qui était rare pour l’époque, a été mon premier long-métrage.
aVoir-aLire : Que pouvons-nous vous souhaiter pour l’année 2021 ? Que pouvez-vous nous souhaiter ?
Jean-Paul Salomé : Pour l’année 2021, je souhaite à nous tous de sortir de ce tunnel qui n’a pas l’air d’en finir, et encore plus pour nous les "gens de la culture", parce que la vie est extrêmement monotone sans spectacle, au-delà du fait que ça nous empêche de travailler, pour l’instant et globalement. Si ça continue, ça va être encore plus dur, même si la machine tourne encore en ce moment avec des projets déjà lancés l’année dernière et qui demeurent sur les rails. Pour les projets qui veulent se mettre sur pied aujourd’hui, cela va être encore plus compliqué, et moi je suis un peu dans ce cas-là. Je ne sais pas quand il sera possible de faire tourner mon dernier scénario sur lequel j’ai énormément travaillé. J’espère que pour 2021 le vaccin sera efficace et la campagne vaccinale suivie.
Interview réalisée par téléphone le 13 janvier 2021
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