Le 12 octobre 2022
- Chanteur : CharlElie Couture
- Compositeur : CharlElie Couture
Nous avons eu le privilège de poser diverses questions à CharlElie Couture, artiste hors norme, dans le cadre de sa tournée en cours. Cette dernière puise dans son dernier album Quelques Essentielles et même plus. L’Écrin de Talant (Côte d’Or) vous attend pour découvrir sa setlist, le samedi 15 octobre 2022. Un rendez-vous immanquable !
aVoir-aLire : Vous êtes un artiste que beaucoup n’hésitent pas à qualifier de boulimique : chanteur, compositeur, peintre, écrivain, graphiste, photographe. Pensez-vous que nous avons plusieurs vies dans une vie ? Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le "multisme" dont vous vous revendiquez ?
CharlElie Couture : Alors, je vais dire que de même qu’il y a des triathlètes qui se donnent à fond dans l’eau, sur leur bicyclette, et quand ils courent, de même, je me donne à fond dans tout ce que je fais, je ne bricole pas, mais je mène trois carrières parallèles : l’une liée à la musique, l’une liée à la littérature, et l’une liée aux arts visuels. De même quand je suis arrivé aux États-Unis, quelqu’un m’a dit : "Find your mission !" Pour être à l’aise dans sa peau, il faut trouver ce que tu dois faire. C’est vrai qu’il y a des gens qui sont les spécialistes d’une seule discipline et existent en ne faisant qu’une seule chose, moi je fais partie de ceux qui font ce qu’on appelle le choix du non-choix et continuent avec intensité une activité logique dans tous les domaines quels qu’ils soient. Chacune de mes activités pourrait être prise séparément de l’autre, sans savoir que j’en fais une autre à côté. Quand j’étais à New York, j’avais une galerie, par exemple, et les gens imaginaient difficilement étant donné ce que je produisais que je puisse faire autre chose à côté.
aVoir-aLire : Vous excellez, en effet, dans plusieurs domaines tant sur le plan quantitatif que qualitatif, ne trouvez-vous pas ?
CharlElie Couture : C’est à la fois mon atout et ma désespérance si je puis dire, parce que la conséquence de ça, c’est que c’est un peu compliqué à faire admettre et à faire entendre aux gens qui préfèrent les spécialistes. J’ai lu récemment un article qui disait que dans le domaine scientifique, les chercheurs pluridisciplinaires -disons qui ont une recherche transversale- sont, en général, peu suivis et encadrés par leurs pairs. Dans le domaine de la recherche comme n’importe où, l’on préfère les choses simples plutôt que compliquées. C’est difficile de faire entendre que je suis autant engagé dans une chose, que dans une autre, puis une troisième. C’est ce que je fais : "Find your mission !" C’est ma mission.
aVoir-aLire : Vous avez signé la bande originale de Tchao pantin en 1983. Vous vous êtes prêté à ce jeu pour beaucoup d’autres films et documentaires par la suite. Vous avez également été acteur pour le grand et le petit écran. Pourquoi le cinéma vous plaît-il autant ?
CharlElie Couture : Ah oui, absolument ! Quand je suis entré aux Beaux-Arts, en fait, je voulais devenir décorateur et rentrer dans le cinéma par le biais de la déco : je voulais être metteur en scène. Mon parrain travaillait chez Max Pécas (je ne sais pas si vous connaissez : il s’agissait de films érotiques) et quand je venais à Paris, quelquefois il m’emmenait sur les plateaux : donc je voyais toutes ces personnes travailler, et j’avais vraiment le sentiment que c’était ce que je voulais faire, j’ai longtemps rêvé d’être metteur en scène de cinéma. Une fois entré aux Beaux-Arts, je voulais avoir la même aisance qu’Eisenstein qui en trois coups de crayon pouvait suggérer une perspective pour Alexandre Neski. De même, quand j’écris des chansons, ce sont des chansons qui racontent une histoire qui serait facile à mettre en image. Je dois vous dire qu’en fait je me réalise par personnes interposées, puisque ma fille aînée Chahane est réalisatrice et mon autre fille Yamée est comédienne et vient de jouer avec Virginie Efira dans Les enfants des autres. Par contre, j’avoue que j’ai plus de mal avec les séries que je trouve incroyablement chronophages. Autant j’apprécie l’énergie concentrée sur un film, autant j’avoue que la dilution sur des épisodes à n’en plus finir, ça ne me donne pas envie.
aVoir-aLire : Sur le plan musical, quelles ont été vos influences majeures ? Comment est né et a grandi le musicien révélé en 1981 par son quatrième album (le deuxième signé sous le label Island Records), Poèmes rock ? Quel effet cela fait de recevoir un premier disque d’or ?
CharlElie Couture : Écoutez, on va dire que j’ai vécu cinq vies. Je suis dans ma cinquième vie. La première, c’était ma vie d’enfant qui était faite de fantasmes avec mes idoles que je cherchais à imiter. Une deuxième qui a duré cinq ans, entre vingt-cinq et trente ans : on va dire que c’était une vie de star, j’ai eu la chance d’avoir beaucoup de succès avec le disque que vous avez évoqué Poèmes rock, qui m’a mené à être plus aimé que je ne le méritais, et plus détesté que je ne le méritais, et avoir surtout le sentiment d’appartenir au public. À un moment donné, ça m’a beaucoup troublé, donc je m’en suis dégagé. J’ai vécu alors une troisième vie d’une quinzaine à vingtaine d’années qui m’a incité à faire des expériences, à enregistrer des disques, à exister pour moi-même, même si encore une fois c’était moins populaire que de se soumettre au "desiderata des médias". Puis après, ça a été les quinze à dix-sept ans passés à New York où là j’ai vécu de ma peinture et quasi exclusivement de ça. Et puis après, c’est la cinquième vie dans laquelle je suis aujourd’hui et qui est plus "sereine", dans la mesure où j’ai fait tout ce que je m’étais fixé comme objectifs.
aVoir-aLire : Vous avez également nationalité américaine depuis 2011. Vous avez choisi New York pour un exil volontaire de 2004 à 2016. C’est bien ça ?
CharlElie Couture : Non, c’est 2020. J’ai pris la décision de revenir en 2016-2017 après l’élection de Donald Trump. Peu importe les dates. Ce qui est certain, c’est qu’à un moment donné, je me suis rendu compte que je ne faisais pas partie de cette Amérique-là, que j’en avais marre, et qu’il me fallait retrouver des références qui sont les miennes, parce que les États-Unis, on les voit d’une manière idéalisée, souvent cependant loin de ce que l’on vit sur le terrain. Pour autant, j’en ai bien profité. J’ai l’habitude de dire qu’à New York, on vit mal, mais on s’y sent bien. Je dis souvent de la France qu’on y vit bien, mais qu’on s’y sent mal. Mais ça a été une expérience incroyable.
aVoir-aLire : Voyager, en général, est-ce une nécessité pour vous ? Est-ce votre oxygène ?
CharlElie Couture : Le voyage, oui, ça l’a été beaucoup. En Australie. Dans les pays du Sud-Est. Aux États-Unis. C’est moins vrai maintenant. La raison est peut-être liée justement au fait qu’on voyage beaucoup par l’image et ça demande une énergie que je n’ai pas toujours.
aVoir-aLire : Pouvez-vous nous parler de votre tournée actuelle qui passe à l’Écrin de Talant, le samedi 15 octobre 2022 ? Est-ce bien un live intégral de votre album Quelques Essentielles sorti en mai 2022 ? Karim Attoumane en studio et sur scène, c’est une chance immense ?
CharlElie Couture : Je confirme que Karim Attoumane est un musicien virtuose avec lequel j’ai beaucoup de plaisir à échanger depuis quinze ou seize ans de travail ensemble. C’est avec lui que je suis allé en Louisiane ; c’est avec lui que j’ai travaillé à New York. J’ai fait beaucoup de choses avec Karim. En fait, il s’est trouvé qu’à un moment donné, quand on tournait avec le groupe, il y avait un certain nombre de petites salles (300 à 500 places) qui nous a conduit à produire un spectacle alternatif nous permettant, en plus, de passer par-dessus la Covid. On a fait pas mal de dates à deux, et on a proposé un spectacle plus intime qu’avec le groupe. Lâcher les chevaux et donner la gomme quand on est en groupe, c’est super. En même temps, pénétrer dans les chansons -si je puis dire- en faisant parler les textes, à travers ce qu’on fait avec Karim, c’est un spectacle tout aussi rock et intense. Il y a certes moins d’instruments, mais chaque chose à plus d’importance. Le programme qu’on fait, c’est, en gros, quinze à seize chansons : un certain nombre sont extraites du dernier album mais pas seulement. On a aussi des dates prévues avec le groupe ; et même plus que ça, on est en train de préparer dans le Grand Est des concerts avec un orchestre symphonique qui auront lieu à partir du mois de février 2023 (pour l’instant il y a trois dates qui ont été signées). C’est un challenge très particulier de jouer avec un grand orchestre : c’est comme d’un côté, tu pilotes une aile volante, et dans l’autre, tu pilotes un Boeing. J’ai hâte de voir ce que cela va donner. J’ai toujours la même envie, j’ai donné plus de 2000 concerts à ce jour, et seule la fatigue me joue des tours désormais. Mais l’engagement quand les choses se mettent en route, c’est comme un sportif qui court, ce n’est pas tout le temps, mais je me donne à fond.
aVoir-aLire : Connaissez-vous bien la Côte d’Or et plus généralement la Bourgogne ? Le vin, tout comme beaucoup d’autres délices épicuriens, fait-il partie de votre quotidien ? Attention, question qui fâche (je plaisante) : êtes-vous plutôt amateur de Bourgogne ou de Bordeaux ?
CharlElie Couture : Ah, sûrement pas Bordeaux ! Bourgogne, c’était les vins préférés de mon père, donc j’y ai été enseigné -si je puis dire- mais mes vins préférés, ce sont souvent les vins capiteux de la vallée du Rhône. Concernant le Bourgogne, on s’est encore régalé, le week-end dernier, avec un Corton que j’avais reçu en 1983, et qui était toujours délicieux.
aVoir-aLire : Comme de nombreux artistes, vous avez plusieurs chansons phares. Comme un avion sans ailes, immense tube transgénérationnel, vous est-il réclamé de manière systématique par le public ? Si oui, est-ce un zeste réducteur ou alors à contrario élogieux à vos yeux ?
CharlElie Couture : Disons que ça sert de repère. Les gens ne comprendraient pas que je ne la chante pas en public. À un moment donné, j’ai trouvé ça un peu réducteur, parce que j’en ai fait d’autres. On ne peut pas changer l’esprit des choses : c’est une belle chanson dans laquelle je trouve toujours quelque chose à dire ou à redire ; c’est une chanson sur l’enthousiasme qui dit que même si les circonstances ne sont pas pour toi, il faut continuer ce que tu as à faire, en gros, c’est ça. Ce qui me blesse quelquefois, c’est que je sais à l’avance que je serai enterré avec cette chanson-là, alors que j’en ai écrit un paquet d’autres. Tous les artistes ont une musique de référence. C’est ainsi, mais ça me plairait aussi que la curiosité des journalistes et des diffuseurs proposent au public des choses que les personnes ne connaissent pas et cessent de ressasser les mêmes trucs.
aVoir-aLire : Vous avez fait vingt-cinq albums, je crois ?
CharlElie Couture : Oui, vous imaginez ce que ça représente, ça fait au minimum 270 chansons enregistrées. Des chansons de côté, j’en ai 500. Il y en a une que j’ai écrite hier et que je ne chanterai jamais. Comme je vous le disais toute à l’heure, pour faire un spectacle, on réunit seize à dix-sept chansons, et cela signifie des choix. La setlist peut être revisitée. Pour Les nouveaux concerts Les Essentielles, c’est le cas par rapport à ce qu’on faisait en juin 2022. Je peux changer des chansons par d’autres. Tout à coup, ça peut donner un autre feeling. Par exemple, dans le nouveau spectacle, il y a Demain, c’est certain qui est sur le disque et que je n’ai encore jamais chantée. Le Dormeur du Val est la deuxième chanson du spectacle.
aVoir-aLire : Vous êtes diplômé de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Pouvez-vous nous parler de vos expositions les plus récentes, vous qui avez exposé en France, en Suisse, en Belgique, et aux États-Unis ? L’une dédiée à Rimbaud, en 2021, était tout sauf un hasard ?
CharlElie Couture : Rimbaud, c’est le poète qui me fascinait quand j’avais quinze ans et auquel je me comparais. Il a eu une période d’inspiration qui a duré trois ans. Après quoi, il a cessé d’écrire de la poésie, reniant même son propre travail, mais c’était un personnage assez fascinant et très moderne. Pendant longtemps, le fait de ne pas comprendre totalement tous ses poèmes avait quelque chose de très stimulant. Pendant la Covid, je suis tombé sur Les Cahiers de Douai, et en relisant ça, je me suis posé la question suivante : un gars qui aurait la même fulgurance aujourd’hui, à quoi ressemblerait-il ? On connaît de Rimbaud son image avec son petit costard et sa chemise machin. Je lui ai inventé une modernité simplement par le choix des vêtements. Concernant les autres expositions, on est en train de les mettre en place. Vous savez, une expo, ça ne s’improvise pas, il faut s’y prendre longtemps à l’avance. Mais l’année dernière, tout le monde dormait à cause des Covid, et des confinements, et des çi, et des ça, les municipalités ne voulaient pas se décider. Ce que je propose souvent, c’est ce que j’appelle un combo : une exposition, une conférence sur le multisme/la pluridisciplinarité/les chemins de la création, et un concert.
aVoir-aLire : Avant de clore notre entretien, je souhaitais vous dire que la préparation de cette interview m’a fait vous connaître davantage. Vous avez une richesse intérieure incroyable !
CharlElie Couture : : Merci, Monsieur ! Je tiens juste à dire qu’il y a une différence entre apparaître et ne pas disparaître. Pour apparaître, tu fais du choc, tu montres tes fesses ou tu scandalises. Pour ne pas disparaître, il faut que tu aies une logique et une cohérence dans ce que tu fais. J’ai l’impression que j’ai montré aux gens, depuis le début, cette rigueur -qui ne m’empêche pas de devenir fou quand il faut le devenir- et qui est attachée à une intention de long terme, voilà. Bon, en tout cas, merci pour tes questions, mec. Affaire à suivre.
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