Le 23 juillet 2002
La résurrection d’un écrivain au bout du rouleau. Requinquant.
La résurrection d’un écrivain au bout du rouleau. Requinquant.
L’écriture l’a abandonné. Au bout du rouleau, assommé par la déprime, raide comme un passe-lacet, Paul Theroux échoue à Hawaii, ce "four à coups de soleil", où l’occasion lui est donnée de prendre la direction d’un hôtel passablement décati. Expérience qui le sortira du marasme, lui fera cadeau d’une compagne, Sweety, d’une petite fille, Rose, et lui rendra toute sa verve pour croquer les portraits d’une micro-société d’allumés, de paumés et de marginaux, acteurs et témoins de sa résurrection.
Il fallait qu’il en ait gros sur la patate, Paul Theroux, la cinquantaine, pour poser son sac dans une ruelle de Waikiki, lui qui, depuis une trentaine d’années, déambule de par le monde pour nous livrer régulièrement un de ces récits de voyage décalés dont il a le secret [1]. Son sac, parlons-en. Quelques nippes et un unique livre, Anna Karénine, rendu encore plus volumineux par l’humidité ambiante, livre "hybolique", dans le langage du cru, considéré par les autochtones comme "une nuisance évidente qui appelait les railleries bon enfant".
Le ton est donné, celui de l’empathie, une constante chez Theroux. Elle est ici poussée à son paroxysme. La dépression l’a-t-elle rendu encore plus attentif aux autres ? Ou serait-ce parce que, pour une fois, il prend racine ? Dans Hôtel Honolulu, voyage "en chambres", il va - en fin observateur qu’il est - au bout de l’exploration de ses personnages, une flopée de "héros" déjantés, outranciers, bourrés des plus abominables défauts et des plus admirables qualités qui se puissent imaginer, mais toujours dépeints avec une sorte de miséricorde, une proximité pleine de compassion : ces pantins sont les frères de l’auteur. Les nôtres, donc.
Aucun temps mort. Quatre-vingts short stories parfaitement huilées s’enchaînent dans un crescendo de contrepoints, astucieuse construction zigzaguant parmi les quatre étages de l’établissement, émaillée de trouvailles plus savoureuses les unes que les autres. Situations abracadabrantes, histoires à dormir debout, malheurs abyssaux, typhons dans des verres de bière. Le soleil ne parviendra jamais à masquer le tumultueux malheur humain. Et, dans ce brouhaha, se pose la lancinante question de l’écriture - "désir de sortir du temps, de le rendre hors de propos, et surtout d’inventer la vérité" - et de sa place dans le quotidien de l’écrivain qui se surprend à vivre sa vie par procuration.
Car il s’agit de vivre avant de mourir, n’est-ce pas ? Bien obligé. Alors, entre les lignes, un principe se dessine : autant s’accepter tel que l’on est plutôt que de tenter de se couler dans le moule de la société, qu’elle soit d’Hawaii ou d’ailleurs. Ce qui est, rendons en grâce au grand écrivain qu’est Paul Theroux, tout à fait requinquant comme philosophie !
Paul Theroux, Hôtel Honolulu (Hotel Honolulu, traduit de l’anglais par Dominique Peters), Grasset, 2002, 487 pages, 23 €
[1] Citons parmi ceux-ci La Chine à petit vapeur, Voyage excentrique et ferroviaire autour du Royaume-Uni, Railway Bazaar, Les îles heureuses d’Océanie, Les colonnes d’Hercule, tous publiés chez Grasset
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.