Le 24 septembre 2016
S’inscrivant dans un parti-pris de non-voyeurisme, Gianfranco Rosi dresse un constat glacial et détaché sur le sort que l’Europe réserve aux migrants.
- Réalisateur : Gianfranco Rosi
- Genre : Documentaire
- Nationalité : Français, Italien
- Durée : 1h49mn
- Date de sortie : 28 septembre 2016
– Ours d’or Berlin 2016
Résumé : Samuele a 12 ans et vit sur une île au milieu de la mer. Il va à l’école, adore tirer et chasser avec sa fronde. Il aime les jeux terrestres, même si tout autour de lui parle de la mer et des hommes, des femmes, des enfants qui tentent de la traverser pour rejoindre son île. Car il n’est pas sur une île comme les autres. Cette île s’appelle Lampedusa et c’est une frontière hautement symbolique de l’Europe, traversée ces 20 dernières années par des milliers de migrants en quête de liberté.
Notre avis : En 2013, Gianfranco Rosi reçoit le Lion d’Or à Venise pour son film Sacro Gra où il décrit le monde invisible de la GRA, plus connue sous le nom de Grand Contournement de Rome. Aujourd’hui, c’est aux vies invisibles des milliers de migrants qui débarquent sur l’île de Lampedusa qu’il consacre son dernier documentaire, récompensé de l’Ours d’or à Berlin.
Cette terre d’asile européenne de 20km2, située à seulement 110km de l’Afrique, a reçu près de 400.000 migrants durant ces vingt dernières années. On estime que 15.000 personnes sont mortes en tentant de traverser le Canal de Sicile pour gagner l’Europe. Ces chiffres terrifiants inscrits sur l’écran font l’ouverture du film. Le plan suivant nous présente un enfant escaladant un arbre pour récupérer un morceau de bois dont il se fera une fronde.
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Car sur ce bout de terre perdue, au ciel tourmenté et au décor banal qui ressemble à n’importe quel coin d’Europe, deux réalités s’affrontent sans jamais se côtoyer. Les habitants, peu nombreux, poursuivent leur vie sans imaginer (ou peut-être vouloir imaginer ?) les drames qui se déroulent à deux pas de chez eux. Une femme prépare le repas tout en écoutant les infos énumérer les morts du dernier naufrage. Elle soupire « Pauvre gens ! » et continue à vaquer à ses occupations ménagères. Seul dans un studio de la radio locale, un DJ, muet et impassible, diffuse de la musique. Amateurs d’émotions, passez votre chemin. Des plans larges scrutant lentement le moindre détail installent un climat pesant de passivité culpabilisante. Ici, on suggère plus qu’on ne dit ! Plutôt que de montrer des moments tragiques, le réalisateur, désireux de faire naître une prise de conscience collective, souhaite amener le spectateur à puiser au plus profond de lui-même l’empathie nécessaire à la compréhension de cette tragédie européenne « la plus grande depuis l’holocauste » selon lui. Mais à l’heure où l’image prime sur toute autre forme d’expression, pas sûr que son but soit atteint.
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L’absence de portraits de migrants laisse perplexe. Ils ne sont décrits, dans leur globalité, que du point de vue des secouristes, qui, emballés de la tête aux pieds dans des combinaisons blanches, les palpent, les fouillent, les trient, les « rangent » dans un silence perturbant. Seule la mélopée slamée d’un jeune Africain énumérant la liste des souffrances endurées pour arriver jusqu’ici viendra réchauffer cet univers désincarné, le temps de quelques couplets. Quant aux sauveteurs, ils s’en tiendront aux remarques sur les risques d’incendie générés par les vêtements de ces malheureux imbibés de carburant. Car le témoignage du médecin, seul véritable instant d’humanité, ne laisse aucun doute sur l’horreur du voyage. Sur les bateaux chargés à bloc, il existe trois classes de confort pour trois prix différents. Ceux qui voyagent dans la cale présentent des brûlures souvent mortelles dues au mélange de l’eau et du fuel, quand ils ne souffrent pas de déshydratation. Il affirme (et on le croit volontiers) que jamais on ne s’habitue aux cadavres d’enfants ou à ceux des femmes enceintes ou décédées en plein accouchement, accompagnant ses propos de détails que l’on préférerait ne jamais avoir entendu.
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C’est à coups de métaphores poétiques mais bien légères que le réalisateur tente de percer la carapace de notre indifférence de nantis : cette mer si bleue et si belle incite les européens que nous sommes aux joies nautiques ou à la plongée sous-marine et permet aux habitants de l’île de vivre de la pêche mais il ne faut pas se fier à cette beauté cruelle qui se meut en linceul pour un trop grand nombre de ceux qui cherchent juste à fuir la misère et la guerre. Le jeune Samuele, gamin vif et débrouillard et à la faconde réjouissante, futur hypocondriaque, dont le médecin soigne « l’oeil paresseux » ne symbolise t-il pas l’aveuglement d’une partie de la planète face aux douleurs du reste du monde ?
Il ne s’agit évidemment pas de nier l’intérêt de cette œuvre sur un tel désastre humanitaire mais il se pourrait que la forme poétique peuplée de paysages parfaitement mis en lumière et de dispositifs scéniques trop maîtrisés finissent par faire oublier l’aspect hautement humain de ce sujet sensible.
Fuocoammare signifie mer en feu. Alors, un peu plus de chaleur n’aurait, à coup sûr, pas nui à ce récit distant.
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nani 16 juin 2019
Fuocoammare, Par-delà Lampedusa - la critique du film
tout à fait d’accord avec vous et je me demande ce que vient faire cette histoire d’enfant complètement inintéressante pour moi . Le symbole de l’oeil fermé ? un peu lourdingue .
l’auteur montre bien en revanche les sauveteurs habillées de blanc des pieds à la tête comme des personnages de science fiction , o^ù est l’humain , la compassion ? oui il est là dans quelques portraits terribles d’immigrants en grande souffrance et du médecin que l’on sent accablé par ce travail