Dans le mur
Le 22 novembre 2005
Jean-Philippe Toussaint signe une élégante et noire réflexion par le mouvement sur le vide de notre temps.
- Auteur : Jean-Philippe Toussaint
- Editeur : EDITIONS DE MINUIT
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Prix : MÉDICIS
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Il y a, dans Fuir, une grande idée qui nous y fait rester. Celle de ce mouvement continu, harmonie parfaite entre un style - fluide, ample, généreux - et un propos. Envoyé de Paris à Shangai pour remettre une enveloppe bien fournie à un agent immobilier, un homme, le narrateur, apprend par un appel téléphonique dans le train qui le conduit à Pékin la mort, sur l’île d’Elbe, du père d’une amie avec laquelle il pensait en avoir fini. Il rentre alors en France avant de gagner l’Italie, tout cela en trois jours à peine et sans que, de lui ou des motivations de ses deux compagnons de voyage chinois, il en ait dit beaucoup. Au contraire des rues, des trains, des chambres, des jours et des nuits traversés en coups de vent, escales sans amarres réduites à des détails qui en expriment toute l’insignifiance, les marques se faisant ici l’idéal allié de cette vacuité. Peu importe qu’elles soient réelles ou non, seul compte le nom : l’argent se planque dans un sac Sakuraya, l’insondable Chinoise offre un flacon de parfum BLV à l’étranger qui glisse ses souvenirs dans une tarte de chez Samperdiarnese di Sabatini & Pilato.
"Roman monde" comme il en est des road-movies, Fuir jette autour de la terre un homme mobile en l’équipant, on ne saura jamais vraiment pourquoi, d’un téléphone répondant au même adjectif et aux mauvaises nouvelles. Ouvrant son livre d’un solitaire "Eté", Jean-Philippe Toussaint interroge une société où règne l’instantanéité (quand le narrateur apprend la mort du père de son amie alors qu’il était sur le point du culbuter Li Qi dans les chiottes du Shangai-Pékin, on pense à Victor Hugo qui apprit par hasard en lisant les journaux, cinq jours après sa noyade, le décès de sa fille Léopoldine), où les distances sont tellement compressées que Paris-Shangai-Pékin-Paris-Portoferraio se fait en trois jours (il en avait fallu 77 de plus à Phileas Fogg et Passe-Partout pour boucler leur tour du globe), où le mouvement et la vitesse font sens à tel point que lorsque le tribulant trio se pose, c’est pour jouer au bowling.
Seule fin possible à cette fuite en avant, l’immobilité, peut-être même éternelle. Eté ? Fut, aurait aussi pu écrire Toussaint qui, comme pour retenir un peu cette course folle, a encore la belle idée de truffer son roman de désuets passés simples (s’en est-il jamais échangés entre deux téléphones portables ?). Pour toutes ces raisons, Fuir est convaincant. Et, par moments, lassant. Difficile de faire un roman plein avec du vide.
Jean-Philippe Toussaint, Fuir, éd. de Minuit, 2005, 186 pages, 13 €
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