Le 18 octobre 2014
- Réalisateurs : Andreï Tarkovski - Jiří Menzel - Claude Sautet
- Festival : Festival Lumière
Les rétrospectives continuent avec un sombre Sautet, du cinéma tchèque et russe avec la ressortie d’Andreï Roublev.
Alors que le Festival Lumière touche à sa fin et que Pedro Almodovar a enfin reçu hier soir son graal, qu’il a lui même appelé sa « palme d’or », petite pique à Thierry Frémaux, votre humble serviteur, lui, s’est glissé dans les fauteuils en velours pour découvrir de nouvelles pépites. Au programme, du Sautet, un film tchèque hors-norme et la restauration du chef-d’oeuvre d’Andreï Tarkovski, Andreï Roublev.
Qu’il est bon de revenir après un jour d’absence, et surtout pour un Sautet pas comme les autres, mitonné aux petits oignons. Mado, dernière collaboration du cinéaste avec Michel Piccoli, son acteur fétiche pour les rôles les plus dramatiques et double cinématographique de l’auteur, est sans conteste son film le pessimiste. Couleurs éthérés, pluie, boue, intérieurs étouffants, musique grinçante, Sautet se fait, comme à son habitude, le portraitiste d’une époque troublée sur fond de magouilles et de scandales financiers. C’est surtout l’histoire d’un homme obligé de composer avec les circonstances, meurtri par un amour impossible avec une jeune prostituée (Octavia Piccolo, amusant tout de même) et pris dans un engrenage qu’il ne contrôle pas. Si Sautet n’est pas à proprement parler un cinéaste moral, il le prouve en peignant un milieu des affaires où l’entraide et la camaraderie ne suffisent pas à cacher les bassesses des hommes. Le film le plus humain du cinéaste, le plus désespéré aussi, où la part d’ombre présente en chacun de nous est révélée au grand jour. Le travail d’équilibre entre les aspects comiques liés à la bonne ambiance du groupe et l’engrenage tragique, par un montage expert, est absolument remarquable, et l’on ne ressort pas indemne. Et puis il y a Romy, qui, en dix minutes d’apparition seulement, parvient à nous bouleverser par l’expression de son visage, mélange de souffrances aiguës et d’une tendresse sans limites. Sautet le disait lui-même, Mado est son film le plus personnel, et l’un de ses préférés. On comprend pourquoi.
- Michel Piccoli, Octavia Piccolo et Jacques Dutronc dans "Mado"
Réveillés par le hurlement des Trains étroitement surveillés, nous sommes propulsés dans un petit village tchèque en pleine occupation allemande pour un film d’une grande rareté, présent sur la prestigieuse liste des 100 meilleurs films de tous les temps établie par le Times et oscar du meilleur film étranger en 1968. La perle du festival, sans aucun doute. Milos, jeune garçon timide et naïf, travaille dans une petite gare et passe sa vie à regarder les trains. Attiré par une jeune contrôleuse qui lui fait des avances, il devra mettre sa virilité en jeu et tâcher de briser ses complexes pour devenir un homme. Au même moment, la résistance décide de faire sauter un train de munitions. Entre fable poétique et film politique engagé, Trains étroitement surveillés est tout à la fois film d’apprentissage, comédie burlesque et farce tragique. Outre le message d’espoir, la parabole historique et l’idée que chaque homme, aussi insignifiant soit-il, n’est jugé au final que par ses actes, l’œuvre force le respect par la puissance de son discours et l’inventivité d’une mise en scène réglée pour passer le barrage de la censure. N’oublions pas que le cinéma des républiques soviétiques était étroitement contrôlé et devait coller avec l’idée que s’en faisait Moscou, soit un cinéma très axé sur la propagande et le rapport à la mère russe nourricière. Le film regorge donc d’allusions érotiques et les scènes de sexe sont traitées avec une ingéniosité et un humour épatant, capable de dérider les plus « conservateurs ». Restée célèbre, la séquence où un contrôleur de train marque tout le corps d’une jeune fille avec ses tampons de gare jusqu’à lui retirer sa culotte est un véritable morceau d’anthologie. Irrévérencieux mais jamais graveleux, l’un de ces films qui nous font aimer le cinéma autant que la vie elle-même. Et comme le dit Almodovar : « Que serait nos vies sans le cinéma ? » Nous espérons vous avoir mis l’eau à la bouche, d’autant que le film doit bientôt ressortir sur nos écrans (merci Malavida !) et est en attente de distributeur lyonnais... Pour les intéressés, la critique complète sera bientôt disponible, en exclusivité sur le site.
- Trains étroitement surveillés de Jiri Menzel
Morceau de bravoure sublime, quintessence du cinéma russe, Andreï Roublev, du génial Tarkovski, transcende et vibre à la manière d’un film de Bergman -avec qui le réalisateur était d’ailleurs très ami-. On pense à cette source, dans le « conte » éponyme de Bergman, jaillissant de la terre en mêlant christianisme et paganisme. « Poète de l’eau lourde » pour Jean Delmas, cinéaste de la terre, réaliste surréaliste, artiste total en perpétuelle recherche des mystères de l’être, Tarkovski, sorte d’ancêtre mythique d’un Terrence Mallick, ne cesse de questionner son rapport au monde, et le nôtre. Andreï Roublev, vision en huit tableaux de la Russie des XIVe et XVe siècle à travers le regard d’un moine peintre d’icônes, pose la question de la foi et de l’éternel renaissance. Si l’ensemble est un peu long et n’est pas nécessairement facile à aborder tant le cinéaste truffe son film de références (une récurrence chez lui, voir notamment Stalker), le cinéma de Tarkovski ne cesse de tutoyer le sublime à l’aide d’un noir et blanc ultrastylisé et de mouvements de caméra amples qui permettent d’embrasser toute l’étendu d’un espace ou d’une communauté. Rien que le prologue vaut déjà son pesant d’or. La caméra semble poursuivre un homme qui s’envole finalement à bord d’un ballon puis nous montre tout ce qu’il voit sous lui sans jamais s’aventurer côté ciel. Il finira par atterrir en catastrophe, symbole d’un retour à la terre qui est somme toute l’essence du film. Car plus que Dieu et l’élévation, c’est bien les hommes qui intéressent Tarkovski. Le mysticisme sert d’enveloppe couvrante, certes, met il n’est là que pour chercher à mieux comprendre l’homme et sa spiritualité propre. C’est peut-être cela le mystère de la foi, la foi en toute chose, la foi en la terre, en la matière, comme en témoigne le dernier segment du film, où un jeune fondeur de cloche parvient grâce à sa détermination à réussir son ouvrage alors qu’il ne connaît pas le secret de fabrication. Violence, attraits de la chair, misère mais aussi savoir et transmission, le monde d’Andreï Roublev est un monde qui met tout le monde à rude épreuve, et ne cesse d’instiller le doute dans l’esprit de notre héros. La remise en question, les épreuves, sont fondamentales pour acquérir une certaine forme d’abstraction et de sagesse qui s’exprime finalement par un épilogue en couleur présentant des détails des œuvres du peintre et de son contemporain sur une musique étrange, entre harmonie et dissonance. C’est comme si l’idéal était là pour tous, à portée de main, grâce à la médiation proposée par la production artistique, sans qu’il ne soit pourtant possible de l’atteindre. L’équilibre, l’idéal syncrétique entre « la terre » et « le ciel », ne pourra se faire que grâce à l’ascèse et la paix intérieur. L’esthétique du cinéaste, elle, ne souffre d’aucune faille, sorte de Beau imperfectible qui abolit les frontières entre l’espace et le temps. Une expérience qui ne peut vous laisser indifférent.
- "Andreï Roublev" d’Andreï Tarkovski (1966)
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