Chronique d’un spectateur illuminé
Le 18 octobre 2013
- Festival : Festival Lumière
Retour sur la quatrième journée du festival avec l’une des plus grandes fresques de l’italien Bertolucci, la montée du nazisme vue par Jerry Schatzberg et une pépite signée Ingmar Bergman.
Retour sur la quatrième journée du festival avec l’une des plus grandes fresques de l’italien Bertolucci, la montée du nazisme vue par Jerry Schatzberg et une pépite signée Ingmar Bergman.
- Bernardo Bertolucci : "Le Dernier empereur" : photo du film
Attention masterpiece !
Thermos de café prêt à l’emploi, paluches parées à faire grimper l’applaudimètre et grand sourire aux lèvres, nous voilà opérationnels pour cette nouvelle journée. Juste un mot sur Le dernier empereur, le chef d’œuvre de Bernardo Bertolucci sorti en 1987 qui retrace la vie de l’empereur Pu Yi, devenu à l’âge de trois ans le nouveau fils du ciel. Notez bien que le film fera très prochainement l’objet d’une véritable critique à découvrir sur avoir-alire. Récemment revenu de Pékin et de la fameuse Cité interdite où se déroule toute la première partie du film, votre serviteur ne peut dire qu’une chose : ça n’a pas changé d’un poil depuis le tournage ! Un décor naturel évidemment somptueux (on se demande d’ailleurs comment Bertolucci a eu le droit de tourner six mois durant dans la Cité pour un film qui au final est loin d’être tendre avec les communistes), un budget dantesque et une véritable soif de faire du beau cinéma, tout cela a fait du Dernier empereur un monument classé au panthéon du 7e Art, aux côtés des films de Lean -dont on recommande chaudement le romanesque Docteur Jivago- ou de De Mille.
Petite anecdote extraite du Routard : saviez-vous que tout le personnel au service de l’empereur de Chine était uniquement constitué d’eunuques ? Plus de mille à ce qu’on dit. Imaginez alors le nombre de figurants et de costumes qu’il a fallu réunir pour mener à bien cette gigantesque reconstitution et vous aurez une idée de l’immensité de la fresque de Bertolucci. Après les 5 h 30 de son 1900, Il maestro avait manifestement besoin d’un nouveau challenge relevé avec brio : donner une véritable incarnation à ce personnage énigmatique et ambigu, mi-homme mi Dieu. Je n’en dis pas plus (à vous maintenant d’acheter le DVD...), si ce n’est que le grand Michael Cimino, l’un des principaux artisans du Nouvel Hollywood était un peu flagada au moment d’introduire la séance en raison du décalage horaire et de sa folle soirée passée avec Thierry Frémaux. On plaisante bien sûr. L’intéressé, qui présentera samedi soir Voyage au bout de l’enfer (œil de lynx, Tarantino devrait être dans les parages), nous a néanmoins confié que l’idée d’offrir le rôle principal à John Lone, avec qui il venait de boucler le tournage de L’Année du dragon, venait de lui. Heureusement que Bertolucci, « aussi maniéré que Lone » (rires dans la salle) a écouté son ami !
- Jerry Schatzberg / "L’ami retrouvé" : photo du film
- DR
A la rencontre du souvenir
Les amis, parlons en. C’est avec un immense bonheur que le festival recevait de nouveau l’immense Jerry Schatzberg, cinéaste rare dont le chef d’œuvre, L’épouvantail (Palme d’or 1973) avait été projeté en ouverture l’an dernier. On se souvient aussi de son exposition photo sur les portraits de Bob Dylan, qui n’aura pas manqué de marquer tous les Lyonnais se baladant du côté de la place des Terreaux. C’est dire que le cinéaste se sent ici chez lui ! On était donc très curieux de découvrir L’ami retrouvé (1989), drame bouleversant sur la difficile amitié entre deux jeunes garçons face à la montée du nazisme, l’un d’origine juive, l’autre descendant d’une haute lignée germanique. Dans L’épouvantail, étrange road movie sur la fragile Amérique des seventies, Schatzberg traitait déjà du rapport à la norme, de l’errance, de la trahison et de l’obsession du souvenir à travers le parcours de deux marginaux reliés par une amitié au delà des mots. Avec Reunion (titre original), il retrouve ses thèmes de prédilection et nous livre une magnifique histoire d’amitié empêtrée dans les affres de l’histoire. Le héros, campé par un vieux Jason Robards (Le Cheyenne aux yeux bleus de Il était une fois dans l’Ouest), envoyé en Amérique en 1932 pour échapper aux persécutions du national socialisme, revient 50 ans plus tard dans son Munich natal à l’heure du bilan de sa vie, mu par un besoin vital de se souvenir. Le film navigue entre l’évocation des souvenirs d’adolescence -qui occupe la quasi totalité du film, d’où un léger déséquilibre- et le retour au présent, tout entier traversé par la question qui hante le personnage : qu’est devenu cet ami si cher à qui il a été si brusquement arraché ? La grande intelligence du metteur en scène, bien que le recours à une vision plus fragmentée du souvenir eu permis d’avoir davantage d’empathie avec le vieil homme, a été d’émailler le récit d’archives, nous rappelant ainsi par petites touches le flux de la grande Histoire. Autre subtilité, Schatzberg intègre une série de fausses images d’archives dont on ne sait si elles sont ou non fantasmées présentant la parodie de procès par les nazis d’un personnage dont on ne verra jamais le visage. Cette manière d’introduire l’ambiguïté quant à la croyance en l’innocence de l’ami (qui pourrait être soit le juge soit le bourreau) répond cinématographiquement parlant à l’enjeu du récit.
Côté réalisation, Schatzberg la joue volontairement sobre, à l’opposé d’un Visconti qui, sur un sujet similaire (voir Les Damnés), proposait un objet avant tout esthétique où la trame narrative servait de prétexte à la création de compositions baroques. Dans L’Ami retrouvé, le réalisateur part de la proposition inverse, à savoir mettre la réalisation au service de la narration. Il se garde la plupart du temps d’ « intervenir » et laisse ainsi libre cours au développement naturel de l’histoire. Une scène entre le père et la mère, confessant à demi mot l’angoisse de vivre dans la nouvelle Allemagne à venir, où les deux protagonistes sont vus à travers l’embrasure d’une porte, nous rappelle à cet égard la manière de filmer d’un Max Ophuls. Si le film atteint cette incroyable fluidité, c’est aussi grâce à la participation d’Harold Pinter. Le grand dramaturge anglais, à qui Schatzberg a demandé d’écrire le script, d’un naturel plutôt bavard (comme tout homme de théâtre), a su mettre de côté toute pesanteur, confectionnant un scénario idéalement taillé pour le cinéma. En résulte un travail à quatre mains d’une grande sensibilité et d’une incroyable justesse de ton, où le background historique se distille insidieusement en arrière plan. Une des rares scènes explicites du film fait cependant directement référence à l’une des plus belles séquences de Cabaret, on vous laissera trouver laquelle... Au final, L’ami retrouvé est un véritable modèle du genre, tempéré comme il se doit, qui vous rappellera sans aucun doute le magnifique Jardin des Finzi-Contini (1970) de l’italien De Sica.
- Ingmar Bergman / "Monika" : affiche officielle
- DR
Elle s’appelait Monika...
Pour terminer en beauté, rien de mieux qu’un petit Bergman, qui quoi qu’il fasse reste d’ailleurs toujours grand. En 1953, soit quatre ans avant Le Septième Sceau et Les Fraises sauvages, le maître suédois réalise l’un de ses premiers grand succès noir et blanc : Monika. L’histoire d’amour entre deux jeunes gens, Harry, garçon livreur, et Monika, ouvrière dans un magasin d’alimentation, qui décident de quitter Stockholm pour vivre d’amour et d’eau fraîche à bord d’un canot à moteur. Grand admirateur de Bergman, Jean-Luc Godard écrira en 1958 : Monika est le film le plus original du plus original des cinéastes ». On ne peut s’empêcher d’être encore une fois subjugué par tant de beauté, le cirque d’eau cristalline emprisonnant les personnages et cette atmosphère brumeuse à la fois envoûtante et étrangement inquiétante rappelant l’imagerie utilisée par Murnau dans L’Aurore (1927) -l’un des plus beaux films du monde-. Il faut se rendre à l’évidence : il y a Bergman, et il y a les autres... Mais loin de se contenter d’une qualité visuelle inégalée, le cinéaste n’a pas son pareil pour rendre compte de la vie et de toutes ses aspérités. On comprend aisément pourquoi Michael Haneke lui voue un véritable culte. Alors que Les Fraises sauvages et Le Septième sceau s’emparent du thème de la mort et du souvenir, Monika, en tant que fable d’apprentissage, constitue d’une certaine manière le premier volet d’une trilogie de l’existence.
Comme toujours chez le cinéaste, l’œuvre est teintée d’un fort symbolisme religieux (rappelons que Bergman, qui s’est toujours déclaré athée avait un père pasteur luthérien et nourrit dans ses films une véritable obsession quant aux questions métaphysiques) qui place clairement le couple au milieu d’un simulacre du jardin d’Éden. Monika, merveilleusement interprétée par une Harriet Andersson qui semble tout juste sortie de l’enfance, rêve d’un amour éternel. Mais cette jeune Ève moderne est sans cesse soumise à la tentation. Elle ira donc voler des pommes dans un verger, acte marquant la fin de l’innocence et qui obligera les deux amants à abandonner le rêve pour un difficile retour à la réalité. Chaque plan est un miracle, le réalisateur offrant de véritables écrins aux visages de ses acteurs. On se remémore en particulier deux scènes construites en miroir preuves de la foisonnante créativité bergmanienne, qui mériteraient de figurer dans tous les manuels de cinéma. Monika, après avoir mis au monde le fruit de ses entrailles, sombre dans la dépression, incapable de se rendre compte des sacrifices de son mari. Bergman la filme en gros plan tandis qu’elle se tourne vers la caméra pour nous regarder fixement. C’est alors que son visage devient dur, presque impassible, comme si elle n’était même plus capable de nous communiquer sa détresse. Une idée reprise à la fin du film lorsque Harry nous regarde à son tour, portant en lui toute la détresse du genre humain. Magnifique, tout simplement.
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