Le 12 mars 2021
La mise en abyme orchestrée par Susan Choi fait de ce roman une réflexion métafictionnelle brillante, qui soutient avec finesse le mouvement #MeToo et l’explosion de la vérité dans le monde artistique et culturel.
- Auteur : Susan Choi
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman
- Nationalité : Américaine
- Traducteur : Laure Manceau
- Prix : National Book Award
- Titre original : Trust Exercise
- Date de sortie : 23 mars 2021
- Plus d'informations : Le site de l’éditeur
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Résumé : Sud des États-Unis, début des années 1980. David et Sarah s’aiment comme seuls peuvent s’aimer des adolescents – intensément, obsessionnellement. Ils ont quinze ans, rêvent de permis de conduire, d’une carrière artistique et viennent d’intégrer une prestigieuse école d’art dramatique. Sous la férule du professeur Kingsley, un “vétéran” de Broadway aux méthodes peu conventionnelles, les deux jeunes gens sont initiés au métier d’acteur – leurs émotions sont exhibées et disséquées, leurs vulnérabilités mises à nu. Douze ans après la fin de leurs études, Sarah retrouve certains de ses anciens camarades et un nouveau récit nous est révélé. Les rôles sont redistribués, des zones d’ombre sont éclaircies tandis qu’une autre vérité prend forme. Que s’est-il réellement passé à l’époque ? Qui faut-il croire ? Peut-on seulement se fier à soi-même, à ses propres souvenirs ?
Critique : Ce roman n’a pas remporté le National Book Award 2019 pour rien. Exercice narratif d’une acuité extrême, c’est à la fois un livre portant sur des problématiques très actuelles et une réflexion métafictionnelle passionnante.
La première partie du récit met en scène Sarah et David, deux adolescents amoureux, évoluant au sein de l’Aca, prestigieux lycée artistique. Tous deux sont dans la filière théâtre et leur histoire est bercée par les murmures des membres de leur promotion, semblable à une petite communauté autonome. L’émancipation recherchée par les adolescents dès quinze ans ans a tout loisir d’éclore dans ce microcosme en apparence si bienveillant, évoluant sous le regard impliqué de Mr Kingsley, professeur de dramaturgie émérite et "vétéran de Broadway". Pourtant, l’apothéose passionnelle entre les deux héros se disloque sur le mur de l’incompréhension, le secret chéri de l’une fièrement brisé par l’autre, la froideur dédaigneuse et blessée de ce dernier répondant alors à la timide pudeur de la première.
Là où Exercice de confiance témoigne d’une certaine maestria, c’est dans le revirement narratif qui a lieu après cette première partie. Soudainement, le rassurant récit à la troisième personne est bouleversée, le monde fictionnel où le lecteur s’était résolu à passer encore une centaine de pages se dissipe, mute. David ne porte pas ce prénom, Sarah ne s’appelle pas Sarah. Il s’agit de pis-aller, de masques créés par celle qui s’est ainsi nommée pour raconter sa jeunesse, au détriment parfois de la vérité. L’exercice de confiance à l’œuvre entre le lecteur et l’auteur emprunte un chemin inattendu. « Karen », la meilleure amie de « Sarah » prend du recul, confronte sa mémoire aux souvenirs ainsi couchés sur le papier, se raccroche aux définitions et à la langue comme seule certitude – cela donnant d’ailleurs lieu à des passages longs et superflus qui soulignent néanmoins la grande adresse de la traductrice, Laure Manceau. Le présent de Karen se déroule ainsi lentement, entrecoupé de réminiscences venant contrarier ce que la première moitié du roman avait patiemment construit. Pour autant, Susan Choi maîtrise tant la construction de ce livre que rien ne semble obscur ou labyrinthique – mis à part les quelques aphorismes ayant trait à la culture et à l’art dans le récit de Sarah. Le lecteur aime à être ébranlé dans ses certitudes, surtout quand le maître du jeu mène la partie avec un tel brio, exigeant de sa part un exercice de confiance qui tourne bientôt au plaidoyer féministe. Amenés avec intelligence et finesse, les éléments qui constituent la base de cet engagement – et, finalement, de toute l’histoire – rappellent la période dans laquelle nous vivons, où même l’art n’est pas épargné par les scandales et les outrances masculines infligées au corps des femmes.
Susan Choi - Exercice de confiance
Actes Sud
11.50 x 21.70 cm
368 pages
22,50 euros
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