Le 30 septembre 2015
- Réalisateur : Ulrich Seidl
Maxime Lachaud a rencontré le réalisateur sulfureux de Dog Days et Import/export, à l’occasion de son dernier film, Sous-sols. Underground, comme il faut !
Ce 30 septembre sortira sur les écrans français le nouveau film d’Ulrich Seidl, Sous-Sols. Explorant la vie souterraine des Autrichiens et les pratiques peu orthodoxes auxquelles certains d’entre eux donnent libre cours dans leurs caves, Seidl retourne à la face documentaire de son travail (Good News, Animal Love, Jesus you Know) après plusieurs succès internationaux dans le domaine fictif (Dog Days, Import/Export, la trilogie Paradis). Présenté en avant-première dans le cadre de l’Etrange Festival et du Fifigrot, le film était sur toutes les bouches, car Seidl n’a pas son pareil pour secouer les spectateurs. Un cinéma salvateur et un langage visuel à la fois ultra personnel et terriblement moderne. Rencontre autour du film.
D’où est venue l’idée de ce long métrage ?
L’idée du film est née à l’époque où je travaillais sur le film Dog Days. J’ai constaté que les caves en Autriche étaient un lieu de loisir, souvent assez spacieux, plus grand que les lieux d’habitation proprement dit, cela a éveillé mon intérêt. D’un autre côté c’est un lieu ambigu car il a plusieurs significations. C’est aussi un lieu qui est sombre, un lieu de la peur, un lieu du crime, un lieu où les gens commettent des abus. C’est cette ambivalence qui m’a intéressé, entre d’un côté le loisir, le temps libre, l’endroit où on assouvit ses désirs et de l’autre côté la terreur. C’était le point de départ. À cela s’ajoute l’aspect de double vie, un symbole des abîmes, des gouffres de certains Autrichiens. Le symbole de nos abîmes à nous, et lorsque vous voyez le film, vous ne devez pas oublier de vous demander dans quelle mesure vous même vous allez à la cave et dans quelle mesure cela concerne aussi vos propres abîmes.
Après le succès des derniers films où c’était la fiction qui dominait, pourquoi ce désir de revenir à la forme documentaire que vous avez pas mal explorée dans les années 90 ?
Même après le succès de Dog Days, je suis revenu à la forme documentaire avec Jesus you know. Pour moi c’était intéressant après la trilogie qui est un projet qui m’a pris plusieurs années de revenir à quelque chose d’un peu moins ambitieux. Ce qui est important pour moi avec le documentaire c’est de revenir à et dans la réalité. C’est une base artistique. La relation à la réalité est une source d’inspiration aussi bien pour le documentaire que pour le film de fiction. Je ne veux pas perdre la relation à la réalité.
Quant à votre approche du documentaire en tant que telle, le documentaire doit-il être à l’image des événements la vie, parfois abrupts, parfois violents, parfois grotesques ? Selon vous, le documentaire doit il être un reflet de la vie et sous quelle forme ?
Je n’ai aucune appréhension pour montrer quoi que ce soit dans la réalité. En tant que réalisateur, je ne m’interdis aucun sujet. Aucun tabou ne m’intimide. Il est vrai aussi qu’un documentaire ne filme pas la réalité telle qu’elle est. Je ne peux pas dire que le documentaire reflète la réalité alors que le film de fiction ne la refléterait pas. Le film de fiction reflète également la réalité ou pas, mais ce n’est pas la question du documentaire ou de la fiction. C’est pourquoi mes documentaires ont aussi des scènes de fiction car il ne s’agit pas pour moi de recopier la réalité mais de lui rendre justice.
À quoi peut ressembler le scénario d’un de vos films. Certains discours semblent improvisés et les gens se racontent mais dans des décors travaillés, voire symétriques. Dans un script, y a-t-il des dessins, des thèmes, des notes, des phrases planifiées, voire des aspects de fiction totalement écrits ?
Les scènes sont écrites très précisément, il n’y a pas de dialogue, pas de storyboard et aucune indication technique. C’est un peu comme de la littérature. On lit une scène mais comme on lirait un roman. Pour moi le scénario est une base de travail. Cela me sert à financer le film, à le préparer mais c’est en aucun cas un programme que j’exécute chronologiquement. Les images naissent au contact des lieux de tournage, elles ne sont pas prévues à l’avance.
Par rapport à votre œuvre antérieure, on sentait toujours beaucoup de désespoir et de solitude chez vos personnages. Dans Sous-Sols, on a souvent des personnages en couple ou qui se retrouvent dans un collectif dans leur cave comme si la cave est un lieu où les Autrichiens sortent de leur solitude. Est-ce que ce serait un film plus optimiste que vos films précédents ou alors la solitude demeure bel et bien à la fin ?
Non, on ne peut pas dire que ce soit plus optimiste. Pour moi, il n’y a aucune différence car même dans les films précédents j’ai montré des gens qui n’étaient pas seuls mais en couple donc je pense que c’est juste votre façon de voir mes films qui est partielle. On peut être aussi seul à deux.
La musicalité du montage est assez impressionnante dans vos films. Ce film est particulièrement rythmé avec les machines de musculation, le bruit des brasses, cela crée une sorte de symphonie qui vient de l’image elle même. En termes de montage et de musicalité, quand est-ce que vous savez que le timing est bon pour une scène ? Quand savez-vous que le rythme est trouvé ?
C’est un long processus. On se retrouve dans la salle de montage avec des rushes et on essaie de créer un ordre à partir de la dramaturgie. C’est comme une musique, on essaie de trouver le rythme en faisant des essais et le rythme s’obtient en improvisant. Je prends l’exemple de la femme dans la buanderie avec sa machine à laver. Je la filme sans savoir si cette femme sera jamais utilisée dans un de mes films. Je ne le sais pas au moment où je tourne. J’ai pris cette image de la femme devant la machine à laver et je l’ai placée dans cent endroits différents dans le film pour savoir si cela fonctionnait. Jusqu’à trouver un endroit où cela collait dans le film. Il y a une évolution dramaturgique et on essaie de trouver le bon rythme, la bonne succession, c’est exactement comme une composition, une symphonie.
J’avais lu que vous tourniez généralement dans un ordre chronologique, est-ce que là on était plus dans un puzzle où il fallait remettre les choses au bon endroit ? Est-ce que du coup le processus a été différent d’auparavant et peut-être même plus chaotique ?
Dans les film de fiction, j’essaie toujours dans la mesure du possible de filmer de façon chronologique. Dans les documentaires, c’est impossible. Même pour les films de fiction, je tourne des scènes dont je ne peux savoir à l’avance si elles seront conservées dans le film et je ne sais pas quelle place elles auront dans le film au final.
Un thème très présent dans Sous-Sols c’est celui du sadomasochisme et ce thème du pouvoir dans les relations entre hommes et femmes est très présent dans votre cinéma. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette thématique du pouvoir d’un être exercé sur un autre et de l’aborder enfin frontalement avec les pratiques sadomasochistes ?
L’amour est chez moi un sujet important, cela joue un grand rôle et dans ce thème, les rapports de pouvoir ont toujours une grande importance. Quand on parle d’amour, on parle aussi du fait de ne pas être aimé, ce qui produit de la solitude et qui peut influer sur les enfants, cela explique la présence des rapports sadomasochistes dans mes films, cela fait tout simplement partie des relations amoureuses.
Pour atteindre cette intimité avec les sujets, j’imagine que c’est un long processus pour obtenir cette confiance, et dans ce film c’est frappant car ils se livrent totalement dans un espace qui est plutôt secret. Quels sont les processus pour en arriver là ?
La première chose c’est que je m’intéresse d’abord aux gens. Je cherche à établir une bonne relation avec eux, cela demande beaucoup de recherche et je montre les gens qui veulent travailler avec moi. Les gens avec qui je tourne, je les rencontre plusieurs fois, de là naît une relation de confiance et c’est grâce à cela que je peux montrer ce qu’ils ont envie de montrer à la caméra.
Vu que vos personnages sont des obsessionnels, avec une foi décentrée on pourrait dire, est-ce que vous même qui êtes quelque part un obsessionnel dans votre cinéma vous vous retrouvez dans ces personnages ?
Oui, si on veut, on peut dire que je suis un obsessionnel mais je cherche à trouver quelque chose qui n’intéresse pas que moi même mais aussi le spectateur et de découvrir dans les protagonistes quelque chose qui renvoie à des choses présentes en chacun de nous. On doit aussi permettre à sa propre frayeur et sa propre façon d’effrayer de s’extérioriser. C’est à nous de la faire émerger. Aucun d’entre nous n’est totalement libéré du racisme ou des rapports de pouvoir et lorsqu’on voit mes films, je crois aussi qu’on se voit en partie dans un miroir.
Cet effet miroir on le ressent avec ces plans où les personnages regardent directement la caméra. C’est quelque chose qu’on va plus retrouver dans la photographie. La photo est merveilleuse dans vos films, tout est très pictural. Pourquoi s’exprimer par le médium cinématographique plutôt qu’un autre dans lequel vous excelleriez autant ? Qu’est-ce que le cinéma a de plus selon vous ?
La photo peut beaucoup moins de choses. Mon point de départ pour mon travail sur l’image a été la photographie mais le cinéma est beaucoup plus riche, il y a plusieurs plans, il y a le mouvement, il y a le son. Pourquoi je devrais me contenter de la photographie ? On travaille aussi en équipe dans le cinéma alors que dans la photo on est seul et je n’ai pas envie d’être seul.
Quel est le nouveau projet de film sur lequel vous travaillez ?
Un projet sur les gens qui chassent pendant leurs vacances en Afrique. C’est ce projet là que je suis en train de terminer.
Portrait d’Ulrich Seidl par Sepp Dreissinger.
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