Notre avis Les éditions François Bourin ont eu l’ingénieuse idée de lancer une nouvelle collection Icônes, dont le titre s’accorde merveilleusement au personnage même de Marguerite Duras. Car l’auteure ou la créatrice (c’est ainsi que Jean Cléder finit pas la nommer à juste titre) se caractérisait d’abord par une personnalité débordante et fascinante, une voix et un rapport à la féminité tout à fait particulier. L’universitaire parvient miraculeusement à traverser toute une vie et toute une œuvre, d’une exceptionnelle fécondité, qui rendent compte autant d’une époque, que de courants littéraires et cinématographiques très prolixes. A juste titre, Jean Cléder caractérise le cinéma de Duras, accolé à celui de Godard, comme un cinéma d’auteur, là où aujourd’hui, tous les jeunes réalisateurs sortis de la FEMIS se targuent d’un tel qualificatif. Chez Duras, le cinéma d’auteur était autant une façon d’échapper au manque d’inspiration littéraire qu’un engagement politique, à l’antithèse de l’industrie cinématographique d’aujourd’hui.

Jean Cléder est un spécialiste du cinéma et de la littérature à l’Université de Rennes 2. Cela se lit dans une écriture dense, passionnée et passionnante, souvent très belle, mais aussi dans cette profusion de références et de textes. Manifestement, il a tout vu et tout lu de Duras. Manque peut-être l’analyse de la dramaturge qu’elle a été, même si l’auteur n’ignore en rien sa production théâtrale. Dans tous les cas, Jean Cléder assume qu’il ne vise pas l’exhaustivité dans ce portrait documenté de Marguerite Duras. Il ne s’agit pas d’une biographie traditionnelle, et pourtant, en traversant l’ouvrage, on parvient à se faire une image très précise autant de l’œuvre, du style Duras, que de sa personnalité complexe. On visite le personnage provocateur, réfléchi, parfois totalement paradoxal, capable d’interviewer et de troubler le président Mitterrand. On voit surtout la femme, et c’est sans doute l’atout majeur de ce livre que d’avoir montré que Marguerite Duras a construit une œuvre profondément féministe, qui a échappé aux excès du prosélytisme. En revanche, il ne faut pas que les lecteurs s’effraient d’une plume universitaire. Jean Cléder parvient à rendre lisible la complexité de l’auteure, tout en ne renonçant jamais à l’exigence qu’impose un tel ouvrage.

Il est difficile de résister à la citation de Marguerite Duras qui revient par deux fois dans le livre de Cléder : Il y aurait une écriture du non-écrit. Un jour, ça arrivera. Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés là, écrits. Et quittés aussitôt. Cette citation résume ainsi l’œuvre tout entière de ce génie qui parvenait à s’extraire de l’histoire, de la chose dite, pour se centrer sur l’émotion des instants du monde. Jean Cléder donne envie de repartir dans la littérature et le cinéma de Duras, et de se plonger dans les entretiens radiophoniques et télévisés qui font autant figure d’œuvre littéraire, et dont certains ont été retranscrits en ouvrages. Jean Cléder a réussi son pari : en 130 pages, il invite les lecteurs et les spectateurs à parcourir une production dense qui est celle de tout un siècle.