L’île aux trésors
Le 21 janvier 2003
Une interrogation radicale et audacieuse sur la fiabilité de la réalité.
- Auteur : Marie Desplechin
- Editeur : Editions de l’Olivier
- Genre : Roman & fiction, Littérature blanche
- Nationalité : Française
L'a lu
Veut le lire
Orfèvres des petits drames qui se jouent dans la complexité de chaque relation humaine, Marie Desplechin nous avait bousculés avec Trop sensibles (1995) et surtout Sans moi (1998). Elle nous revient au bout de cinq ans et quelques ouvrages jeunesse, avec un roman tout en mystère. Toujours fidèle au murmure intimiste, elle nous parle aujourd’hui de la réalité et de son envers.
"Cette écharpe, dit-il, c’est notre univers. Chaque pli, c’est un étage. Toi, mon chéri, tu habites ici, pli numéro deux. ( ...) Les autres étages, tu n’y as pas accès." Allez donc, tout scientifique chevronné que vous êtes ou pourriez être, expliquer à une adolescente absolument certaine d’avoir été assassinée par un ami de sa mère au bord d’une falaise de l’île de Batz qu’en fait, elle n’a peut-être pas été assassinée, mais qu’elle a, le temps d’un fantasme morbide, changé d’étage, enfin, de réalité. Finalement, l’écharpe pliée en accordéon, ça n’est pas forcément moins clair qu’une autre métaphore, mais c’est quand même beaucoup plus réducteur que le dernier roman écrit de la main de maître de Marie Desplechin, une main qui s’interroge mais ne tremble pas, une main de psychologue douée (très douée) d’émotion et de poésie.
Dans Dragons, il est question d’inconscient, mais pas tant de l’inconscient qui s’exprime dans les rêves que d’une réalité éparpillée en mille et une subjectivité, toutes plus vraies (ou plus fausses) les unes que les autres. Personne, parmi tous les personnages rassemblés pour un week-end de Toussaint sur l’île de Batz, ne détient la vérité ; et Marie Desplechin dénie au lecteur, en toute simplicité, ce droit de savoir ce qui s’est réellement passé cet après-midi-là entre Damien, un médecin fasciné par un tueur en série, et Aurélie, sur la falaise, ni ce qui s’est passé entre Damien, ses fils et la meute de chiens sur la même falaise, ni ce qui s’est passé entre Mélanie, l’anthropologue spécialisée dans les rites funéraires et Vanessa, la femme de Damien, dans la crypte de l’église, ni ce qui s’est passé entre Pascale, visionnaire depuis l’enfance et le fantôme d’Emmanuel, mort depuis huit ans, dans un recoin du café de l’île...
Hallucinations ? Délires schizophrènes ? Mirages de l’imaginaire ? Pourtant, parmi les choses qui se sont, ou non, passées sur l’île, il y en a bien certaines qui sont arrivées à l’étage numéro deux, puisqu’elles ont des conséquences sur la vie des personnages revenus à Paris, sur la terre ferme : un couple se défait, un bébé (à l’étrange visage de vieillard) naît, un homme se suicide.
Parce qu’il est aussi question de la mort sous toutes ses formes dans ce roman, mais d’une mort que Marie Desplechin, dans son doute radical et contagieux, souhaite pas tout à fait définitive : il y a ce mort qui pénètre, avec une puissante sensualité, le corps des vivants encore vivants ; il y a le dépérissement de la terre que Pascale pressentait depuis longtemps mais qui renaît toujours après le déchaînement apocalyptique des éléments. Et puis il y a la mort du dragon, tué par Paul Aurélien, le saint sauveur de Batz, dans un combat héroïque à l’issue ambiguë. Mais est-il vraiment mort, ce dragon, ou seulement endormi ?
Marie Desplechin, Dragons, Editions de l’Olivier, 2003, 309 pages, 20 €
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.