Grandes plumes
Le 26 novembre 2002
Une oeuvre superbe, somnambulique et intemporelle.
- Auteur : Sándor Márai
- Editeur : Albin Michel
- Genre : Polar
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Dans un face à face d’une intense acuité psychologique, Sándor Márai fouille les désordres intimes et brosse le portrait d’une société au seuil de l’engloutissement. Une œuvre superbe, somnambulique et intemporelle.
Découvrir un grand texte dont on nous annonce qu’il est traduit pour la première fois en français provoque une allégresse proche de l’euphorie. Ainsi en va-t-il des romans de Sándor Márai qu’Albin Michel nous distille depuis une dizaine d’années, à raison d’un tous les deux ans environ. Dernière livraison en date : Divorce à Buda, datant de 1935. L’une des premières œuvres publiées du Hongrois et, déjà, un coup de maître.
Son intrigue peut se résumer en quelques mots : en rentrant d’une soirée passée avec sa femme chez des connaissances, le jeune juge Krystof Kömives a la surprise de découvrir chez lui un camarade d’école perdu de vue, dont il doit prononcer le divorce le lendemain.
Les retrouvailles, chez Márai, sont une constante littéraire. Comme dans L’héritage d’Esther ou Les braises, un individu "surgi de la trappe du passé" procure le choc d’où émergeront toutes les facettes du questionnement humain. Où est la vérité ? Quel est le sens de la vie ? Le destin existe-t-il ? Quelle place donner à l’amour ? Doutes et convictions s’entrechoquent dans l’esprit du bourgeois Kömives aux certitudes ébranlées. À l’image de la Hongrie des années 30, hésitant entre l’hier et l’aujourd’hui, dont l’allégorie est le pont qui relie la ville ancienne, familière et rassurante, à la ville nouvelle, incompréhensible, menaçante, "débordante d’instincts mal maîtrisés".
Roman intense, d’une grande finesse et d’une acuité exacerbée, Divorce à Buda étudie les motivations profondes des actes humains, s’interroge sur les phénomènes parfois étranges, voire pathologiques, qui déterminent la destinée de chacun. C’est en ce sens un grand roman psychologique, celui du désordre intérieur, de la confusion des sentiments, dans la veine d’un Stefan Zweig. Mais c’est également une œuvre d’une effroyable prémonition : en disséquant les codes d’une société en pleine désagrégation et en faisant planer l’ombre du cataclysme à venir, Márai dessine en creux l’avenir qui attend son pays, de même que son futur personnel. Antifasciste déclaré, il réchappera à la tourmente nazie pour être ensuite broyé par la machine stalinienne qui lui vaudra l’exil définitif.
Divorce à Buda, partition nocturne au ton d’une insondable mélancolie, propre aux voix de la Mitteleuropa de l’entre-deux-guerres, se trouve, après plusieurs décennies d’interdiction, dans toutes les librairies de Budapest. Qui plus est, son auteur est reconnu dans son pays comme l’un des écrivains phares du XXe siècle. Une revanche que Márai n’aura hélas pas connue, la libération de ses œuvres ayant eu lieu quelques mois après son suicide en 1989, à San Diego, Californie...
Sándor Márai, Divorce à Buda (Válás Budán, traduit du hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu), Albin Michel, coll. "Les Grandes Traductions", 2002, 247 pages, 16,90 €
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