Le style Ellroy est là. Ce style fulgurant, sec, minimaliste, clinique. Les thèmes Ellroy sont là aussi. Le traumatisme lié au meurtre de sa mère, assassinée par un dingue jamais retrouvé quand l’écrivain était gosse. Son père, celui qui a tenté de l’éduquer, entre cuites, discours extrémistes et séances de baise. L’adolescent Ellroy, livré à lui-même, naviguant entre défonce et prison. Et puis, le déclic après des années d’errance dans les rues mal famées de L.A. Le souhait, plus fort que tout, de devenir écrivain pour raconter ces souffrances. Raconter ces meurtres sadiques, ces corps démembrés, ces criminels jamais identifiés.

On retrouve ces thèmes récurrents dans les huits textes de Destination morgue, rédigés entre 1999 et 2003. Deux textes autobiographiques dévoilent un peu plus encore de l’homme, mégalo, entêté, haineux, mais formidablement doué. Deux textes qui montrent à quel point il faut être torturé et marqué pour devenir James Ellroy. Et, quand l’écrivain se mêle aux forces de police de la putride L.A. pour suivre une enquête, les flics qu’il met en scène sont au moins aussi atteints que les criminels qu’ils cherchent. Ellroy, sur les traces de la mère, toujours, fouille dans les archives, cherche des réponses quand il n’y a pas de questions, se délecte de meurtres sadiques, observe, dissèque, rédige...

Une fois encore, l’écrivain américain prouve qu’il a totalement apprivoisé son sujet. Que ces thèmes obsessionnels font partie de lui, de sa chair, de ses douleurs. Et c’est sans doute parce que la passion conduit son existence (Ellroy n’a jamais retrouvé l’assassin de sa mère, morte en 1958 [1]) que son écriture est si brutale et si noire. Huit textes qui racontent l’Amérique malade, dégénérée et condamnée. Huit textes que seul Ellroy, devenu un auteur indispensable, pouvait écrire.