Deep end - La critique

Critique : Sorti en 1970, Deep End arbore les couleurs de son époque : après avoir filmé les errances fantasques de personnages mi-poètes, mi-vagabonds dans la grisaille de Varsovie, Jerzy Skolimowski nous plonge ici dans un Londres « pop art », au train de vie libre et déluré. Visuellement - et même par quelques détails piquants -, le film n’est pas sans appeler un chef-d’œuvre quasi-contemporain, Orange mécanique. Cependant, l’affolement sexuel que Skolimowski choisit d’incarner dans son héros pubère, Mike, est touchant dans sa maladresse, là où Kubrick fait poindre un mal présent à la racine. Le cinéaste polonais filme avec fluidité et grâce, laissant les corps de ses acteurs s’échapper du champ pour y revenir avec énergie ; comme les films de la période polonaise, Deep End provoque un sentiment paradoxal de composition maîtrisée et de liberté, et donne une réelle substance aux émois adolescents du personnage. Autre paradoxe, l’habileté avec laquelle Skolimowski jongle entre d’une part des symboles ou des formes fortement expressionnistes (la piscine, les couleurs qui se répondent, etc.), et d’autre part des moments d’improvisation, très proches des acteurs et de leur expression personnelle. Jane Asher - parfaite en icône rousse de Piccadilly - et John Moulder-Brown se font face dans un jeu qui là encore, hésite entre drame pur et comédie légère. C’est peut-être l’humour, incontestablement présent dans Deep End, qui constitue la meilleure passerelle entre les deux ; mais il s’agit d’un humour aigre, légèrement cruel, en forme de satire douce envers ce monde pop et finalement plus lubrique que débridé. L’univers que dépeint Skolimowski reste orange ; mécanique, sûrement pas.

© Carlotta Films