Wartburg ou Alfa Romeo ?
Le 4 juin 2024
Déconcertant et jubilatoire, le cinquième long-métrage de Jerzy Skolimowski déploie sans compter une énergie désespérée et un sens de la provocation candide qui ne pouvait qu’effrayer la censure polonaise de 1967. Interdit, le film ne fut débloqué qu’en 1981.
- Réalisateur : Jerzy Skolimowski
- Acteurs : Jerzy Skolimowski, Joanna Szczerbic, Tadeusz Momnicki, Adam Hanuszkiewicz, Bogumil Kobiela
- Genre : Comédie dramatique, Politique, Noir et blanc, Satirique
- Nationalité : Polonais
- Distributeur : Malavida Films
- Editeur vidéo : Malavida
- Durée : 1h10mn (version 1967) ; 1h16mn (version 1981)
- Titre original : Ręce do góry
- Âge : Interdit aux moins de 12 ans
- Date de sortie : 4 avril 2012
- Plus d'informations : http://www.malavidafilms.com/
- Festival : Festival de Cannes 1981
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Résumé : Cinq jeunes gens se retrouvent dix ans après la fin de leurs études de médecine à bord d’un train de marchandises. Ils y évoquent leur passé commun du temps où le stalinisme implacable régentait la Pologne. Ils avaient été chargés d’accoler des panneaux de papier pour édifier un immense portrait du « père des peuples » pour le défilé annuel du 1er mai, et à la surprise générale, le despote avait été affublé de deux paires d’yeux…
Critique : Tourné en 1967, après la parenthèse bruxelloise du Départ, Ręce do góry - Haut les mains ! est un film qui revient de loin. Il fut interdit en Pologne, ce qui amena le cinéaste à s’exiler à l’Ouest, pour n’être débloqué sans préavis qu’en 1980. Jugeant alors qu’il ne pouvait le sortir tel quel, Skolimowski lui adjoignit un prologue de vingt-cinq minutes qui replaçait cette résurrection inespérée dans son contexte : apocalypse (nucléaire ?), manifestations en faveur de Solidarność, images de Beyrouth en ruines où il participait au tournage du Faussaire de Schlöndorff (on voit longuement l’équipe au travail), vernissage d’une exposition de ses toiles dans une galerie londonienne.
La coloration désenchantée de ce prologue, auquel le Kosmogonia de Krzysztof Penderecki donne des allures d’ode funèbre légèrement grandiloquente, déteint sur le film original, raccourci d’une vingtaine de minutes et rendu ainsi plus sombre et plus étouffant. Il est heureux qu’à cette nouvelle mouture, présentée à Cannes en 1981, on puisse désormais confronter, dans son intégralité (1h10mn), la version de 1967.
Dès les premiers plans, qui nous font assister à une fête bizarre où l’on danse mécaniquement en agitant les mains levées et où un personnage (Skolimowski lui-même) portant une cagoule blanche qu’il arrache peu à peu tient un discours accusateur et revendicatif assez obscur, on constate que, dans son cinquième long-métrage, le plus génial des cinéastes de la nouvelle vague polonaise est plus éloigné que jamais des canons du réalisme socialiste et accentue encore la noirceur cocasse, la clownerie triste qui imprégnaient ses œuvres précédentes.
Sublimes compositions visuelles à la beauté gratuite, ronde sans fin animée d’une inquiétante frénésie, suite de cérémonials énigmatiques, gags qui ne cherchent pas à faire rire mais plutôt à laisser songeur, allusions politiques même pas voilées au marasme d’un paradis socialiste étouffant et vidé de sens, obsédé par les biens de consommation (une Wartburg, une Opel ou une Alfa Romeo ?) : le jusqu’au-boutisme provocateur de Skolimowski ne pouvait qu’effrayer les censeurs à l’époque du grand mouvement de retour du bâton qui était en train de remettre au pas les satellites trop turbulents de l’URSS.
Quelle que soit la version choisie, le film ne manquera pas de déconcerter plus d’un spectateur d’aujourd’hui mais il touche par son énergie désespérée et néanmoins jubilatoire et une espèce de candeur paradoxale totalement en phase avec la musique mélancoliquement ludique de Krzysztof Komeda.
Le DVD
Une remarquable édition en deux DVD permet de comparer les différentes moutures de ce film au destin si particulier.
Les suppléments
Cette édition collector en deux DVD présente surtout l’inestimable avantage de permettre l’accès au film original (et intégral) de 1967. Une version comparative signale les plans non retenus dans la deuxième mouture.
Le film de 1981 est présenté lui aussi en deux versions : l’une dans laquelle les plans de 1967 ont été colorisés, ou plutôt teintés, tantôt en sépia (chaud), tantôt en vert (froid), et qui ne présente à vrai dire qu’un intérêt anecdotique. L’autre, voulue par Skolimowski, où ces plans ont retrouvé leur somptueux noir et blanc d’origine.
Par ailleurs un livret de 16 pages, qui ne nous a pas été fourni, contient des photos de tournage, une filmographie et deux entretiens avec le réalisateur, le premier publié à l’origine dans la revue Film Comment en 1968, l’autre en 2010 dans Plus Camerimage.
C’est indéniablement un beau travail éditorial qui a été réalisé ici.
Image
Aucune des différentes copies réunies ici ne présente de défauts notables même si quelques scratchs peuvent être aperçus de ci de là. La compression est toujours soignée et le confort de vision assuré même si, dans les plans de 1967, les blancs, intenses, fourmillent légèrement et ont tendance à éblouir. Les scènes nocturnes, nombreuses, sont très bien gérées.
Le report permet en tout cas de pleinement apprécier la luminosité, la profondeur des noirs, la splendeur en un mot de la superbe photo signée Witold Sobociński et Norbert Zbigniew Mędlewski.
Les couleurs froides de la photo volontairement plus terne du prologue sont elles aussi fort bien rendues.
Son
Dans les plans post-synchronisés de 1967, le mixage très équilibré mais qui isole volontairement les différentes sources sonores donne toute leur valeur aux voix, aux bruitages et à la musique de Krzysztof Komeda.
Dans le prologue, c’est la glaçante composition Kosmogonia (1970) de Krzysztof Penderecki qui donne le ton. Les effets sonores quelque peu appuyés, avec les voix ou les bruit de la mer qui résonnent pour donner une sensation de profondeur, fonctionnent parfaitement.
– Interdit en Pologne en 1967
– Présenté au Festival de Cannes 1981 (version remaniée, avec adjonction d’un prologue)
– Sortie DVD : 21 mars 2012
– Sortie en salles : 4 avril 2012
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