Le 16 décembre 2014
Deux films radicaux qui supposent un spectateur disponible et attentif ; deux faces d’un esthétisme lent qui constituent l’épure d’une carrière exigeante.
- Réalisateur : Tsai Ming-liang
- Acteurs : Denis Lavant, Lee Kang-sheng
- Nationalité : Français, Taïwanais, Chinois
- Distributeur : Urban Distribution
- Durée : 2h18 mn + 53 mn
- Genre : Drame
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– Sortie DVD : le 2 décembre 2014
Deux faces d’un art de la lenteur esthétique, dans un coffret qui permet la confrontation entre la noirceur de l’un et la luminosité de l’autre.
L’argument : Les Chiens errants :Un père et ses deux enfants vivent en marge de Taipei, entre les bois et les rivières de la banlieue et les rues pluvieuses de la capitale. Le jour, le père gagne chichement sa vie en faisant l’homme sandwich pour des appartements de luxe pendant que son fils et sa fille hantent les centres commerciaux à la recherche d’échantillons gratuits de nourriture. Un soir d’orage, il décide d’emmener ses enfants dans un voyage en barque. Voyage en Occident :Un moine bouddhiste traverse la ville agitée de Marseille à pas extrêmement lents, reprenant des marches rituelles bouddhistes vieilles de plusieurs siècles.
Notre avis : Les Chiens errants radicalise un peu plus le cinéma extrême de Tsai Ming Liang. Plus de séquence chantée, une histoire minimale, des plans étirés qui semblent parfois minéraux, l’attrait du vide, tout est au service d’un sens inouï du cadrage et d’une esthétique du plan-séquence. Formellement, c’est prodigieux. La critique a été très partagée entre une fascination proche de l’hypnose et une rejet face à l’ennui et la répétition. De même l’aspect social, voire politique peut sembler très fort, ou au contraire dilué dans cette recherche sur le temps et la durée. Ce film était annoncé comme le dernier de son auteur, mais, la même année (2013), il a réalisé le moyen-métrage qui constitue l’autre DVD.
La critique : ICI
Voyage en Occident peut se voir comme l’autre face, plus solaire, d’ un manifeste, celui d’un cinéma qui renoue avec une certaine modernité (disons celle de Duras ou de Straub), et propose une vision, presque une philosophie : treize séquences, dont la plupart sont des plans-séquences, une caméra statique, une absence de dialogues écrits -et audibles- pour suivre le cheminement extrêmement lent d’un moine dont nous ne saurons rien, quelques personnages quasi immobiles, Denis Lavant qui passe du très gros plan à l’imitation du marcheur, et des passants, visiblement innocents puisque certains regardent la caméra. C’est tout : le pari est que de cette non intervention sur le réel quelque chose adviendra. Mais c’est au spectateur à faire, si l’on ose dire, le travail : à lui de regarder, de prendre le temps, de chercher dans l’image ce qui pourrait devenir signifiant. On remarque par exemple que deux séquences sont des reflets, et que ce sont les seules qui comportent une musique au piano. Cependant nous sommes devant une béance sans artifice scénaristique : le sens ne se donne pas et l’intention est minimale.
Alors bien sûr, le film joue sur notre capacité à accepter une telle lenteur ; dès le premier plan-séquence ( le visage de Denis Lavant en très gros plan, avec respiration et déglutition sonores) qui dure plus de sept minutes, nous pouvons entrer ou pas dans ce projet. Si tel est le cas, chaque scène devient une expérience qui ravit, fascine et contient en elle-même la possibilité d’ennui. Mais surtout le spectateur se transforme en enquêteur, à l’affût d’un détail visuel ou sonore qui vient comme une récompense. Au fond on est assez fier d’apprécier la durée, d’être captivé par la descente intégrale d’un escalier en plusieurs minutes. On se surprend même, dans la dernière séquence, à chercher l’image du moine dans le reflet inversé d’une place animée.
On s’en doute, Voyage en Occident, titre presque ironique, n’est pas un film facile ; exigeant, sans concessions, osé, il marche sans cesse sur le fil du rasoir avec en creux la question de l’arbitraire : jusqu’à quand faire durer la séquence ? Pourquoi l’arrêter à tel moment ? Car l’avantage de ce type de cinéma c’est le temps qui nous est accordé pour réfléchir. Très vite on se dit que Tsai Ming Liang nous parle du monde moderne, de l’urgence de ralentir dans ce quotidien effréné. Mais c’est aussi le lien entre le réalisateur et le moine qui apparaît : les deux prennent le temps et font le pari que ralentir, c’est apprécier différemment, méditer, visiter son monde intérieur en faisant fi du bruit et de l’agitation. Pour compléter l’analogie, nous sommes les spectateurs qui choisissent ou pas de s’arrêter. On pense à L ’An 01 de Doillon, qui proposait une utopie en réaction à la société marchande et trépidante. Si le traitement est très différent, il y a bien toujours l’idée que faire un pas de côté, regarder autrement, s’avère une urgence. C’est donc la question du sens qui est posée, mais de manière biaisée et sans rien d’explicite. Elle découle de notre capacité à prendre le temps d’entrer dans le film, de nous y glisser, d’y prendre notre place.
Les suppléments :
Un seul bonus, mais de qualité : la masterclass du réalisateur, donnée à la cinémathèque française. Il s’y dévoile beaucoup, et définit, parfois en creux, son cinéma. L’humour n’est pas absent de cette conception sérieuse, grave peut-être, de son art.
L’image :
Les copies proposées rendent dans l’ensemble justice à l’esthétisme des films. Ça et là, quelques légers manques de stabilité ne sauraient gâcher la beauté de ces cadrages très composés.
Le son :
La seule piste proposée, en Dolby Digital 5.1 magnifie un extraordinaire travail des bandes-son. Les ruptures, les bruitages infimes, la savante confusion sonore de certaines séquences, tout est précis, enveloppant.
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