A coeurs perdus
Le 6 décembre 2010
Une merveille de comédie métaphysique douce-amère. Chef-d’œuvre bien sûr.
- Réalisateur : Alain Resnais
- Acteurs : Sabine Azéma, André Dussollier, Claude Rich, Isabelle Carré, Pierre Arditi, Lambert Wilson, Laura Morante, Michel Vuillermoz, Françoise Gillard, Anne Kessler
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français
- Festival : Festival de Venise 2006
– Durée : 2h05mn
– Le site du film
Alain Resnais ajoute une pierre précieuse à son monumental édifice. La mort encore, l’amour toujours. Une merveille de comédie métaphysique douce-amère. Chef-d’œuvre bien sûr.
L’argument : Thierry, agent immobilier, se donne beaucoup de mal pour trouver un appartement à Nicole et Dan. Charlotte, sa collaboratrice, lui prête la cassette d’une émission qu’elle adore, un programme de variétés religieuses dont la vision troublera fortement Thierry.
La sœur de Thierry, Gaëlle, recherche secrètement l’amour, allant même jusqu’à recourir aux petites annonces.
Dan passe ses journées dans le bar d’un hôtel où il confie ses mésaventures à Lionel, le barman. Pour assurer son service du soir, Lionel fait appel à une assistante pour s’occuper de son père, Arthur, un vieil homme malade et colérique. C’est Charlotte qui se présente.
Et ainsi, le mouvement d’un personnage peut bouleverser le destin d’un autre sans pour autant le connaître voire même le rencontrer.
Notre avis : Chaque nouveau film d’Alain Resnais est une expérience, la découverte d’un univers à la fois familier et mystérieux. Familier, bien sûr, puisque nous retrouvons depuis vingt-cinq ans les visages d’Arditi, Azéma et Dussolier, comme si Resnais avait trouvé en eux la compréhension et l’incarnation parfaite de son cinéma. Nous reconnaissons également cette élégance de la mise en scène, ainsi que l’importance accordée à la musicalité des mots, parfois soulignée par un accent étranger (ici Laura Morante), et à la partition musicale elle-même. Quant au mystère, que Resnais adore distiller le long de ses œuvres, il revêt un blanc manteau de neige métaphysique. Cette neige omniprésente fait écho à celle des interludes de L’amour à mort et nous interroge. Elle confère une atmosphère mortuaire au film, comme si elle tenait au froid des vivants-morts, contrairement au personnage de Simon/Arditi qui était mort-vivant dans le film précédemment cité. Une chute de neige infinie qui accompagne le manège des cœurs solitaires, "on connaît la chanson" d’Adamo ! Les personnages se parlent sans vraiment s’écouter, accumulent les malentendus, sont séparés par des vitres, des murs ou des rideaux (brillante mise en scène encore une fois). Chacun est un flocon ou bien une île cherchant à se relier à une autre, le lieu de rencontre d’Isabelle Carré s’appelle d’ailleurs Café Dézil. Chacun a ses contradictions, ses secrets qu’il tente de révéler lorsque les barrières tombent enfin. Les corps se frôlent, les langues se délient dans la douleur, maladroitement. Mais le mystère demeure. Comme toujours chez Resnais, l’imaginaire du spectateur fonctionne alors à plein régime.
Qui dit manège dit aussi monotonie. Les personnages tournent en rond, répètent inlassablement les gestes du quotidien. Le découpage du film est tel que les scènes (ou tableaux comme dirait Resnais) s’enchaînent presque dans le même ordre pour chaque journée. "La même chose !" répète Lambert Wilson au barman Arditi. C’est effectivement ce qu’ils vivent. Ils sont faits comme des rats, prisonniers de l’expérience du savant Resnais. Les souris de Mon oncle d’Amérique ne sont d’ailleurs pas loin lorsque le cinéaste filme en plongée la visite d’un appartement. Prises au piège de la répétition, de l’usure, les vies des protagonistes sont à l’image de la cassette vidéo décrite par Dussolier. Tout s’efface, se répète, meurt puis revit ("Je revis !“ hurle un Wilson qui croit sauter du manège) jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que de la neige sur l’écran. Encore cette neige, cet après, ce vide, ce néant.
La mort évidemment. Le mystère ultime. Elle rôde dans le film comme elle taraude Resnais à n’en pas douter. La solitude, la maladie, la souffrance, la tentation de la religion (Azéma), toutes ces interrogations relatives à la mort sont concentrées dans le fascinant personnage de Claude Rich, Arthur. Nous ne prenons pas beaucoup de risques en affirmant qu’Arthur est un alter ego de Resnais. Le fait que nous ne le voyons jamais facilite ce rapprochement. Arthur est un personnage drôle et tragique qui compense sa peur de la mort par une fantaisie verbale et triviale. Resnais, quoi qu’on en dise, a toujours été un fantaisiste empreint d’une gravité existentielle, et on a l’impression qu’à l’image d’Arthur, il se permet au crépuscule de sa vie des choses rarement vues dans ses œuvres, comme par exemple la férocité du langage de Rich, les strip-teases d’Azéma ou encore le soupçon onaniste concernant Dussolier.
Bref Resnais s’amuse, et nous avec. Car en plus d’être assurément l’un des films les plus désespérés du cinéaste breton, Cœurs est sans aucun doute l’un des plus drôles. L’alchimie parfaite entre le tragique et le comique, le cérébral et l’émotion pure, le sucré et le salé, le chaud et le froid. Profitons de ce magnifique chef-d’œuvre aux allures testamentaires...
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harry carasso 25 novembre 2006
Cœurs - la critique
Oui, je veux bien accepter toutes ces précisions et éclaircissements. Mais je ne regrette pas d’être allé voir ce film sans "doc" préalable, ce qui m’a permis deux heures de pur bonheur, malheureusement gâchées par une fin que j’ai trouvé indéchiffrable, avant "doc".
C’est sans doute un testament, mais moi, qui n’ai que cinq ans de moins que Resnais, j’aimerais VIVRE, sans me poser trop de questions sur la mort.
Et puis, ce n’est qu’une adaptation d’une pièce de théâtre, mais si AR l’a rélisée c’est qu’il se trouvait sur la même longueur (ou racourci ?) d’ondes que l’auteur de la pièce.
Réalisation parfaite, acteurs parfaits, que n’ai-je trouvé une fin plus optimiste pour vivre ma propre solitude ?
Et puis, en réfléchissant, la bondieuserie de Sabine Azéma est loin d’être évidente, et on prendrait mieux Dussolier et Carré pour père et fille.
La salle riait beaucoup, comme moi, et et en est sortie le sourire aux lèvres (pas comme moi).
Cependant - et définitivement - le meilleur film de l’année, suivi de près par le très ravigorant PRADA.
Harry
Norman06 22 avril 2009
Cœurs - la critique
Élégant dans sa mise en scène et ses mouvements de caméra, ce film de Resnais pourra décevoir par son matériau de base (une pièce médiocre) pas assez porteur. Interprétation impeccable mais sans surprise de la troupe habituelle.