Voyage au bout de la nuit
Le 25 juillet 2022
Les affres de la création, le pouvoir de l’inconscient, la peur de la mort, le tout servi en anglais s’il vous plaît. Un des meilleurs Resnais.
- Réalisateur : Alain Resnais
- Acteurs : Dirk Bogarde, Ellen Burstyn, David Warner, John Gielgud, Samson Fainsilber, Elaine Stritch, Tanya Lopert
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Suisse
- Distributeur : Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC), Jupiter Films
- Durée : 1h42mn
- Reprise: 23 octobre 2013
- Date de sortie : 9 février 1977
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Résumé : Le film décrit le processus de la création littéraire. Une partie de l’histoire se déroule dans l’imagination de Clive Langham, un écrivain célèbre qui sait qu’il va mourir et qui, la veille de son soixante-dix-huitième anniversaire, élabore sa dernière œuvre, un récit dans lequel il parle de lui-même, de ses souvenirs, et dont les principaux personnages sont les membres de sa famille. Les liens et les divergences qui existent entre l’art et la vie sont révélés. Mais croyant peindre les autres, il s’est peint lui-même, mettant à jour certains aspects cachés de sa personnalité.
Critique : Septième long-métrage d’Alain Resnais, Providence reste à ce jour son seul film tourné en anglais. Quand on connaît le grand intérêt que porte le cinéaste aux sonorités des voix, on comprend aisément ce désir de s’immerger dans la langue de Shakespeare. Mais ce chef-d’œuvre de 1977 marquait surtout le retour aux expérimentations des années 60 après le très « classique » Stavisky avec Belmondo, et après de longues années sans tourner, la faute à de nombreux projets avortés.
Malgré le changement de langue, finalement anecdotique, Providence reste donc du pur Resnais. C’est une marche funèbre magnifiquement orchestrée par Miklós Rózsa, le requiem d’un vieil écrivain tourmenté par la maladie qui, à la veille de son oixante-dix-huitième anniversaire, passe une nuit blanche à ressasser ses idées noires en les injectant dans un récit imaginaire, l’ébauche mentale du dernier roman de sa vie, dans lequel il met en scène ses proches, vivants ou disparus. Nous assistons donc à une sorte de work in progress directement issu de l’esprit de son créateur (la Providence c’est lui), avec ses commentaires sur l’action qui se déroule, ses critiques et ses réflexions personnelles sur les personnages ou les personnes réelles qu’ils sont censés incarner, le tout agrémenté de visions cauchemardesques traduisant sa peur de disparaître. L’écrivain souffle les répliques aux personnages, les guident comme des marionnettes, change les décors, parfois en trompe-l’œil, au gré de son humeur et de ses projections mentales du moment (superbe travail de Jacques Saulnier). Ce vieil aigri se permet toutes les fantaisies afin de se venger de ses enfants et d’une société « jeuniste » dont il se sent exclu. Mais, à de maintes reprises, les situations lui échappent, des personnages apparaissent contre sa volonté, des images également, simplement parce qu’il ne peut contrôler les assauts de son inconscient, motivés par les émotions qui le submergent.
Répétons-le encore une fois, Resnais n’est pas QUE le cinéaste de la mémoire. C’est un cinéaste de l’imaginaire, de l’inconscient ET de la mémoire. Ce qui l’intéresse depuis toujours, c’est la représentation formelle de nos pensées et tout ce que cela implique comme travail sur l’image, le montage, les mouvements de caméra, bref toutes les possibilités et les limites du cinématographe. Cela n’en fait pas pour autant, et paradoxalement, un cinéaste « cérébral » comme beaucoup l’ont dit et le disent encore. En effet quoi de plus ludique que de représenter l’imaginaire ? Certes Providence est une œuvre sombre, un chant du cygne parfois dérangeant, bien que jamais complaisant. Mais quel plaisir de spectateur ! On se délecte de cette mise en scène à la fois gracieuse et osée, de ce montage qui nous prend à contre-pied, des décors, de la musique, de l’interprétation sans faille et des réflexions profondes qui continuent à nous hanter. Quant à la fin du film, lorsque les « vrais » personnages rendent visite au sénile cynique, elle est nimbée d’une clarté mélancolique époustouflante doublée d’une tristesse insondable. Comme on dit : à découvrir ou redécouvrir de toute urgence.
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