Quatre fromages
Le 30 mars 2011
Pour son troisième long-métrage, Samuel Benchetrit s’essaie à une grosse farce ultra-référencée, dans la tradition de la comédie italienne. L’ensemble pèse sur l’estomac et amuse par intermittences, rondement mené par un José Garcia royal.
- Réalisateur : Samuel Benchetrit
- Acteurs : Sergi López, José Garcia, Anna Mouglalis, Ben Gazzara, Fabrice Adde, Adèle Exarchopoulos, Samuel Benchetrit, Serge Larivière, Jules Benchetrit
- Genre : Comédie, Comédie policière
- Nationalité : Espagnol, Français
- Distributeur : Mars Distribution
- Durée : 1h40mn
- Date de sortie : 30 mars 2011
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Résumé : Gino, installé depuis trente ans à Bruxelles, tient une pizzeria achetée avec les économies de son épouse Simone. Sa vie est bouleversée par la nouvelle de la mort prochaine de son oncle d’Italie, un parrain de la mafia rendu milliardaire par ses activités illicites. Une grosse part d’héritage est promise à Gino. Seul hic, il lui faut, pour la toucher, prouver à son oncle qu’il est bien devenu, comme il le lui a raconté, un redoutable parrain régnant sur toutes les pizzerias parisiennes. Gino commande alors à un réalisateur un documentaire sur lui et sa famille censé les présenter comme des truands de grande envergure. Seulement le tournage ne se passe pas tout à fait comme prévu, sa famille se rebelle, l’équipe se montre récalcitrante aux ordres de Gino qui a tendance à se prendre pour son personnage et quand un vrai mafieux, persuadé qu’il a affaire à un nouveau concurrent s’en mêle, c’est la panique.
Critique : Jeune cinéaste se voulant singulier, Samuel Benchetrit a un potentiel indéniable, et ses films font partie de ces œuvres qu’on aimerait défendre, tant elles s’essaient à sortir des sentiers battus, à proposer un univers personnel et un peu brindezingue (pas si fréquent dans la comédie française). Sur le papier, cela fonctionne, mais l’expérience a montré que ces promesses, aussi bonnes soient-elles, ont parfois du mal à s’optimiser à l’écran. Soit Janis et John, petite fantaisie partant d’un postulat alléchant, mais s’éparpillant et s’essoufflant à mi-parcours ; et J’ai toujours rêvé d’être un gangster, plus convaincant, sorte d’expérimentation comico-minimaliste sur les traces de Jim Jarmusch, un brin cadenassé dans ses poses auteurisantes. Plus généreux et sans doute plus drôle que ses deux précédents longs, Chez Gino nous emmène encore ailleurs, aux basques d’un pizzaïolo qui, s’il ne rêve pas d’être un gangster, va devoir se faire passer pour, afin d’honorer sa ’’familia’’ mafieuse. L’abruti un peu grande gueule, qui met les faux habits du caïd et finit par se prendre au jeu, n’est pas un postulat férocement inédit pour une comédie (voir récemment Le Mac, déjà avec José Garcia, ou encore le navrant Marquis-Dubosc ses derniers jours), mais Benchetrit le couple à un autre ressort, celui du "film dans le film", histoire d’apporter une touche décalée. Le faux tournage avec trois bouts de ficelle, façon Soyez sympa rembobinez, permet d’instaurer un double niveau de fiction tout en rendant hommage au septième art.
Chez Gino commence bien, voire très bien, ses artifices fonctionnant à plein (l’introduction en forme de fausse pub, hilarante), tentant une rupture de ton osée sous forme de flash-back : sombre et maîtrisé, sous l’influence des meilleurs films de genre (excellent Jalil Lespert, qu’on croirait venu de chez Coppola), ce dernier étonne même par son ampleur. L’introduction et la caractérisation des personnages, famille indigne tirée d’un Affreux, sales et méchants amélioré, se fait sur les chapeaux de roue, et José Garcia se taille logiquement la part du lion. Idéal pour son rôle de petite frappe mégalo, le comédien porte l’intégralité du film sur ses épaules, avec un cabotinage et une foi sans limites. Si Garcia est naturellement bon sur le mode du surrégime, à l’instar des seconds rôles savoureux remplissant la caution "humour belge" du film (mention spéciale à l’inénarrable Fabrice Adde en crevette-ingénieur du son, vu précédemment dans le très beau Eldorado de Bouli Lanners), on a beaucoup plus de doute concernant Anna Mouglalis, talon d’Achille comique immédiat et évident. N’en déplaise à Benchetrit, son compagnon à la ville (qui la filme vraisemblablement avec les yeux de l’amour...) son abattage est tellement raté qu’il en devient préoccupant - l’actrice trouvant mieux ses marques dans la sobriété. De manière générale, les personnages peinent à exister au-delà de leur caricature grimaçante (genre Chatiliez et son regard sociologico-méprisant sur la classe plouc), ce qui est plutôt gênant lorsque l’émotion est censée s’inviter, in fine, à la table du rire.
Dans sa critique de J’ai toujours voulu être un gangster, Sébastien Mauge l’avait déjà (fort justement) noté : Benchetrit est fan avant d’être cinéaste. Ultra-référencé, Chez Gino mêle grosse farce à l’italienne, "belgitude" barrée et tradition comique hexagonale (L’Argent de la vieille meets Gérard Oury meets Groland, en somme), et saupoudre/sature le tout de citations en tout genre : les noms de Coppola, Fellini, Begnigni, Cassavetes viennent à l’esprit, quand ce ne sont pas les titres Festen, Le Docteur Jivago ou encore L’Ultime Razzia qui défilent dans les dialogues juke-box de Benchetrit. On ne doute pas de la sincérité de cette déclaration d’amour généralisée au cinéma ; l’hommage à outrance n’est même pas un défaut en soi (Tarantino, duquel le réalisateur se revendique, fait la même chose). Cependant, et puisqu’on cause ici pizzas et cuisine italienne, la sauce un peu lourdingue de Benchetrit a du mal à prendre. À force de faire du pied aux cinéphiles (lesquels ne lui ont pourtant rien fait) à coups de clins d’œil entendus, Benchetrit plombe ses gags de manière impressionnante ; certains d’entre eux mettent littéralement vingt minutes à se mettre en place, et tombent logiquement à plat.
Soyons francs, la mécanique comique générale du scénario est lancée sur de bons rails. Tournée des pizzerias déguisée en racket, mamie aveugle, arnaque du siècle, véritable parrain de la pègre qui devient "acteur" sans le savoir (Sergi López, aussi sobre que ses partenaires sont survoltés, génial sans lever le moindre sourcil)... La réalité grisouille et le "film" faussement flamboyant que Gino fait de sa propre vie produisent, en se rencontrant, d’inévitables étincelles. On regrette alors que Benchetrit se soit senti obligé de chausser des semelles aussi plombées dans sa mise en abîme du "film dans le film dans le film dans le..." (il joue lui-même le personnage de cinéaste amateur de Chez Gino, histoire d’en remettre une couche), que n’arrangent pas des regards caméra éléphantesques ou un monologue final sirupeux, sur l’air de « Viva el cinema ». Le dénouement aux teintes sépia, agrémenté d’un joli coup de théâtre, bifurque soudainement vers la fable optimiste à la Capra et promet un léger mieux ; las, il massacre son caméo prestigieux (Ben Gazzara, quand même) par un doublage post-prod complètement hasardeux. Décidément, si les intentions de Benchetrit restent louables, leur réalisation effective joue volontiers contre lui. Néanmoins on continue de croire en son petit talent : c’est qu’on devine, à l’œuvre derrière Chez Gino, un bonhomme volontiers malin. Trop malin ?
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