Aimer et laisser mourir
Le 22 avril 2014
Samuel Benchetrit présente le premier volet d’une trilogie sur la place de la femme dans la société contemporaine occidentale.
- Réalisateur : Samuel Benchetrit
- Acteurs : Anna Mouglalis, Céline Sallette, Yann Goven
- Genre : Drame
- Nationalité : Français
- Distributeur : Épicentre Films
- Durée : 1h27mn
- Date de sortie : 23 avril 2014
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Résumé : Un couple dépose leur enfant à la maternelle un vendredi matin. C’est la grand-mère qui viendra le chercher le soir et le gardera pour le week-end. Eux partent en voyage, dans un autre pays...
Critique : Tout commence par un courrier, une lettre bouleversante qu’une femme a envoyée un jour au réalisateur, scénariste, acteur et metteur en scène, Samuel Benchetrit, pour lui raconter son histoire tragique, qui ferait selon elle un bon film. Profondément perturbé par cette douloureuse missive, il décide alors de réaliser une trilogie sur la femme, l’amour et la mort, en cherchant à déterminer le courage féminin face à une situation difficile. Comment les femmes réagissent-elles ? Quelles différences pouvons-nous remarquer face au comportement des hommes ? Un voyage est ainsi le premier volet d’une étude sociologique, qui ne cherche pas à alarmer mais plutôt mettre en valeur des attitudes, notamment au sein d’un couple composé de deux individus qui ne vont pas forcément réagir de la même façon face à une situation donnée.
Le cinéaste offre ainsi un rôle magnifique à Anna Mouglalis : celui d’une femme follement éprise de son époux, qui découvre qu’elle est atteinte d’une maladie incurable et va donc devoir le laisser seul avec leur fils. Face à sa fin proche et inexorable, elle prend la décision de ne pas devenir un fardeau pour sa famille et entraîne donc ce mari tant aimé en Suisse, où ils ont pris rendez-vous auprès d’une association qui organise des suicides assistés (le mot "euthanasie" n’étant jamais prononcé, notamment parce que le film n’a pas pour vocation de faire réfléchir et de lancer le débat sur le sujet). L’amour et la mort finissent donc de s’imbriquer au cœur du dernier week-end que le couple va passer ensemble, les conduisant bien malgré eux et très rapidement (le film ne dure qu’1h27) à l’issue fatale.
Face à une décision radicale et qu’elle ne remet jamais en question, Mona ne peut compter que sur le soutien de son mari Daniel, qui reste digne mais dont le regard perdu, qu’il pose sur tout et sur tout le monde, témoigne du profond désarroi. Restant toujours très calmes tous les deux, résignés à un destin qu’ils ne maîtrisent plus, ils trouvent dans l’amour qu’ils partagent une force inébranlable.
Que peuvent-ils faire, aussi, lorsqu’il ne reste que deux jours à passer ensemble ? Mona décide alors d’accomplir des choses insensées qu’elle n’aurait jamais osé entreprendre si le temps ne la pressait pas. Elle agresse le père d’un petit garçon qui harcèle son fils à l’école, arbore une robe provocante lors d’errances dans la rue et en randonnée, et finit par aborder une inconnue dans un restaurant pour lui dire combien elle la trouve belle.
Cette rencontre avec une femme fragile et dépressive, jouée par Céline Sallette, va permettre aux deux femmes de se confier l’une à l’autre, et de comparer deux existences, deux modes de pensée et deux couples qui ne fonctionnent pas de la même façon. Alors que Mona et son mari Daniel s’aiment éperdument mais vont devoir se séparer, victimes des circonstances et de cette maladie dont ils ne parlent jamais, le personnage interprété par Céline Sallette partage sa vie avec un homme qui ne la rend pas heureuse et l’a mise enceinte contre son gré. L’injustice de la situation éclate alors comme un cri de douleur : un couple s’aime mais est condamné à ne pas vieillir ensemble comme il l’espérait, à cause de la mort prochaine de Mona, l’autre peut encore vivre ensemble mais ne s’aime pas. Cela met en valeur la puissance des sentiments de Mona et Daniel, au cœur des montagnes suisses qui accueillent leur dernière balade ensemble.
Le film est littéralement porté par l’interprétation saisissante de ses deux acteurs principaux, entre Yann Goven qui parvient à rendre Daniel fragile mais courageux, et Anna Mouglalis qui est de toutes les scènes et distille un condensé de toutes les émotions qu’une personne peut ressentir. Amour, tristesse, joie, douleur... Tout se lit dans chacun de ses gestes, au point que les paroles (très rares dans le film) ne sont plus que des accessoires. La musique minimaliste, qui alterne entre les compositions de Philip Glass et celles du chanteur Raphaël, met en lumière des émotions et rend palpable chaque situation. Samuel Benchetrit renouvelle ainsi sa collaboration avec Raphaël, après avoir réalisé les clips de certains de ses singles, tout en étant acteur dans le premier moyen-métrage du chanteur. Il s’agit ici de la première musique de film que la vedette française signe.
Filmant d’une manière sensible les derniers jours qu’un couple passe ensemble, le réalisateur parvient à ne pas tomber dans le mélodrame, même aux pires moments, notamment lorsque Mona, qui se réveille après une sieste, ne retrouve pas Daniel dans leur chambre d’hôtel. Craignant que son mari ne l’ait abandonnée, elle le cherche à travers la ville, désespérée par une solitude insupportable.
Loin de lancer le débat, et évitant par là même toute polémique sur l’euthanasie et la médecine, le film cherche plutôt à montrer les conséquences d’une décision sur l’entourage, tout en évoquant cette dépendance sur les autres que Mona veut éviter à tout prix, allant jusqu’à choisir le lieu, la date et l’heure de son dernier instant.
Posant sa caméra au plus près du couple tout en la laissant trembler autant que ces amants maudits, et suivant leurs regards sur un monde injuste qui leur enlève tout ce qu’ils ont de plus cher, Samuel Benchetrit filme l’amour fou aux prises avec un événement incontrôlable venant tout chambouler.
En attendant de découvrir les deux autres volets de sa trilogie, Un voyage signe déjà le début d’un travail remarquable du cinéaste sur l’amour et la mort, qui pour lui sont indissociables. Quand le cinéma sert ainsi une histoire d’amour et la recherche désespérée d’un bonheur perdu, on ne peut que le remercier de transposer si bien les sentiments humains, dans un film qui ne peut laisser indifférent.
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