Sex is comedy ?
Le 8 mars 2024
Entre grandeur et décadence, une fresque audacieuse sur le monde du porno qui peut aussi se lire comme un vibrant hommage au septième art.
- Réalisateur : Paul Thomas Anderson
- Acteurs : Heather Graham, Philip Seymour Hoffman, Julianne Moore, Don Cheadle, William H. Macy, Mark Wahlberg, John C. Reilly, Burt Reynolds, Luis Guzmán, Philip Baker Hall
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h33mn
- Âge : Interdit aux moins de 16 ans
- Date de sortie : 18 mars 1998
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Résumé : Los Angeles, fin des années 1970. Eddie Addams, dix-sept ans, est engagé par un réalisateur de films pornographiques. Sous le pseudonyme de Dirk Diggler, le jeune étalon devient du jour au lendemain une star du cinéma X. Mais avec les années 80, le conte de fées va rapidement virer au cauchemar...
Critique : Entre satire et fresque épique, Boogie Nights fait preuve d’une originalité que la filmographie de Paul Thomas Anderson n’aura de cesse de confirmer. Le film s’ouvre sur le portrait d’Eddie, un jeune adolescent en proie au malaise familial - émouvantes scènes de dispute avec sa mère - qui décide, suite aux conseils de Jack (Burt Reynolds), de se lancer dans l’aventure du porno en mettant à profit ses "attributs". Admirablement campé par Wahlberg, le personnage peut servir de fil conducteur au récit. Ce sont ainsi une vingtaine d’années qui s’écoulent, depuis son ascension spectaculaire de "jeune premier" jusqu’à sa plongée dans la drogue et l’impuissance, thèmes traités avec une grande justesse et sans ridicule par le cinéaste.
On reconnaîtra clairement l’héritage d’Altman, et notamment de Short Cuts, dans les choix de mise en scène. Une attention constante est portée aux personnages secondaires sous la forme de portraits touchants, de la fragile et auto-destructrice Rollergirl (Heather Graham) au jeune Philip Seymour Hoffman, touchant dans le rôle d’un homosexuel naïf et mal dans sa peau (belle déclaration d’amour à Eddie). Julianne Moore explore avec bonheur une veine très proche du mélodrame et de ses performances ultérieures dans The Hours ou Loin du Paradis. Boogie Nights fait donc la part belle aux acteurs à travers une direction impeccable et des techniques de caméra virtuoses qui explorent subtilement les petites failles de ces êtres en proie au vice et au mal-être.
C’est dire si la mise en scène et le montage sont des personnages à part entière du film. Le découpage préfigure, à bien des égards, l’art du récit tel qu’il sera à l’œuvre dans There will be blood avec sa structure ambitieuse : si la première partie, très fluide, conte avec bonheur et légèreté l’ascension d’Eddie dans le porno des seventies (couleurs kitsch, musique d’ambiance façon juke-box), la seconde nous plonge dans les années 80 et la déréliction des personnages en proie aux addictions de toute sorte (sexe, cocaïne, narcissisme, pédophilie) avant l’apothéose dramatique de l’épilogue et son débordement de violence paroxystique.
Mais Boogie Nights est surtout un hommage remarquable au septième art à travers le portrait de Jack, réalisateur en mal de reconnaissance et qui ambitionne de transcender les codes du film pornographique. Paul Thomas Anderson restitue à merveille les mutations connues par le cinéma dans ce tournant des années 80, notamment avec l’apparition de films vidéo qui, de ce fait, n’étaient pas diffusés en salle. Cette dimension a le mérite d’exhiber les ficelles du long-métrage et de le "mettre à nu" pour mieux attirer notre attention sur le pouvoir des images. Lors des scènes porno, le cinéaste a ainsi recours à des effets adroits de hors-champ qui, montrant les réactions des membres du tournage, nous renvoient à notre propre situation de spectateur-voyeur. Quant à l’exercice de mise en abyme, il est mené de façon originale par Anderson, donnant à voir la sincérité des personnages à travers un dispositif complexe d’écrans et d’artifices (voir la scène où Amber et Eddie couchent ensemble pour la première fois).
Tout ceci concourt à faire de Boogie Nights une œuvre audacieuse et brillante, qui parvient à s’emparer d’un thème difficile avec ironie et humour, mais aussi avec le regard d’un cinéaste attentif aux mutations de son art et de sa place au sein du circuit audiovisuel. Une œuvre précieuse et qui invite à réfléchir sur les enjeux des images pornographiques et de la représentation du sexe à l’écran.
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