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Le 17 octobre 2021
Daniel Day-Lewis fait preuve d’un charisme irrésistible, magnifié par une mise en scène très stylisée signée par Paul Thomas Anderson. Comme souvent, le réalisateur a de plus su faire de ces apparats académiques le support à un récit bien plus transgressif.
- Réalisateur : Paul Thomas Anderson
- Acteurs : Daniel Day-Lewis, Lesley Manville, Vicky Krieps, Sue Clark, Joan Brown
- Genre : Drame
- Nationalité : Américain, Britannique
- Distributeur : Universal Pictures France
- Durée : 2h10mn
- Date télé : 17 octobre 2021 20:55
- Chaîne : Arte
- Date de sortie : 14 février 2018
Résumé : Dans le monde de la mode du Londres des années 1950, le couturier Reynolds Woodcock, proche de sa sœur Cyril, est engagé pour dessiner les vêtements des gens de la haute société, tels que les stars de cinéma, les héritières ou les mondains, et de la famille royale. Un jour, il rencontre Alma, une jeune femme qui devient sa maîtresse et surtout sa muse.
Critique : Avant d’être une rupture, Phantom Thread est surtout marqué par des retrouvailles. Celles de Paul Thomas Anderson et de Daniel Day-Lewis, dix ans après There Will Be Blood. Après deux collaborations florissantes avec Joaquin Phoenix, le réalisateur retrouve l’acteur multi-oscarisé pour lui offrir l’occasion de jouer quelque chose qu’il n’a plus incarné depuis plus d’un quart de siècle : un Anglais. Le comédien originaire de Londres, habitué aux rôles d’Américains ou, au mieux, d’Irlandais (dont il est également originaire via ses parents), pourrait même y trouver là son dernier rôle puisqu’il a récemment annoncé prendre sa retraite. Le rôle de ce couturier monomaniaque et obsédé par les codes de la haute bourgeoisie pourrait ainsi représenter son chant du cygne, tant il lui apporte, sans jamais amollir la rigidité qui le caractérise, une ambiguïté ahurissante qui s’avère être le véritable moteur de ce long-métrage.
Cette thématique de la noblesse britannique est cependant une véritable rupture dans la filmographie de Paul Thomas Anderson qui s’est jusque-là concentré sur les dérives du rêve américain, sous toutes ses formes. Le voir ainsi traverser l’Atlantique pour dépeindre la haute société londonienne n’est pourtant pas une parfaite dénégation de l’approche qu’il a toujours su donner aux Etats-Unis et à leurs idéologies autodestructrices. La peinture qu’il donne de ce microcosme, par le prisme d’une entreprise familiale de couture, est ici aussi alimentée par le poids des faux-semblants, et des névroses qu’ils dissimulent. C’est en l’occurrence l’élégance traditionnelle du personnage de Day-Lewis qui devient le pilier du film, à point tel que c’est à elle que la mise en scène va s’accorder.
- Copyright Universal Pictures International France
Tout le travail formel de PTA repose donc sur cette volonté de s’approprier les codes du classicisme à l’anglaise. Au-delà de la direction artistique, qui reconstitue avec minutie cette Angleterre fortunée des années 50, les choix de cadrage et les effets de lumières font de ce long-métrage une véritable œuvre picturale, en hommage à un cinéma romanesque so british devenu trop rare. De cette imagerie, au premier abord surannée et clichée (telle qu’on avait pu la voir dans My Cousin Rachel six mois plus tôt), il parvient à faire un spectacle fascinant et un élément indissociable de sa dramaturgie. Il la transforme en effet en un voile qui enrobe un récit bien plus profond et vénéneux que la simple bluette qui naît, en tout innocence, dans les premières minutes du film. Celle-ci n’est en fait que le prétexte à l’exploration de l’intimité de ce couturier qui semble irréprochable, pour découvrir un individu si trouble que, face à lui, sa maîtresse, qui paraissait à l’inverse un peu mièvre, devient le personnage auquel le spectateur va automatiquement s’identifier.
Dans sa capacité à faire face à Daniel Day-Lewis, tout en réussissant à apporter autant de profondeur et de crédibilité à son personnage que lui, Vicky Krieps s’avère être une véritable révélation. Malgré sa carrière internationale (on avait jusque-là pu l’apercevoir dans des films allemands, français comme britanniques), cette trentenaire luxembourgeoise n’avait pas encore su trouver de rôle qui sache, comme celui d’Alma, exploiter ainsi tout son talent. Le couple qu’elle forme avec Reynolds Woodcock est en effet le nœud scénaristique qui transforme ce qui ressemble magnifiquement à un postulat romantique des plus classiques en thriller psychologique bien plus retors qu’il n’y paraît.
- Copyright Universal Pictures International France
Bien qu’il prenne du temps à se mettre en place, du fait d’une construction qui lui privilégie dans un premier temps un développement passionnel plus convenu, le jeu de manipulation qui se révèle dans le dernier tiers du film est d’une parfaite cohérence avec l’image que Paul Thomas Anderson a l’habitude de donner aux interactions humaines.
Le rythme assez contemplatif qui permet au réalisateur de prendre le temps d’observer l’insidieuse influence de Woodcock sur sa muse lui sert également à donner de l’importance à son métier de couturier, qui semble le fasciner tout autant que le cinéma britannique auquel il se réfère tout du long. La grâce avec laquelle il met en scène son travail, en particulier lorsqu’il a sa bien-aimée en guise de mannequin, relève d’une telle sensualité qu’elle en vient à compenser la pudeur de leurs relations. Si Phantom Thread dépasse son statut d’exercice de style, c’est donc bien dans sa capacité d’aligner le fond comme la forme à cette dichotomie entre la froideur engoncée de la noblesse anglaise et la violence psychologique qu’elle camoufle.
Celle-ci atteint d’ailleurs son paroxysme dans l’une des dernières scènes -qui aurait, soit dit en passant, mérité d’être la dernière, tant ce qui la suit paraît accessoire-, un tête-à-tête entre les deux amants. L’intensité du jeu de regards que s’y échangent leurs interprètes nous rappelle au passage que, au-delà de sa réalisation soignée, Paul Thomas Anderson garde la direction d’acteur comme sa priorité. Une valeur sûre qui, au-delà de son classicisme assumé, fait de Phantom Thread un film remarquable !
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une inconditionnelle 23 octobre 2021
Phantom Thread - la critique du film
Quel régal de découvrir ce joyau de grand cinéma !
Tout est dit dans le commentaire ci-dessus , cependant je voudrais seulement souligner la justesse du jeu relationnel entre les 2 protagonistes, en quoi c’est un échantillon savoureux de rapports complexes - refus de ne pas être vue comme un Sujet, renversement de situation, apprentissage de l’humilité , acceptation de sa fragilité et ce peut une relation vraie entre deux êtres authentiques . Un vrai bonheur esthétique de surcroît... M.B. psychanalyste