Blinking lights & other revelations

Qu’il est loin le groupe qui chantait Novocaine for the soul et flottait sur la cime des charts de MTV. C’était il y a dix ans. A l’époque, on pensait avoir trouvé en Mark Olliver Everett - E pour les intimes- le parfait camarade de jeu de Beck, également complice de magouilles sonores mais beaucoup plus caustique et mélancolique sur le fond. C’est finalement la face tragique qui l’a emporté, nourrie par une expérience particulièrement amère de la vie - en quelques années, tout son entourage disparaît brutalement, par maladie ou suicide. A l’époque de son deuxième opus Electro shock blues, E entame l’écriture de Blinking lights & other revelations, un projet de longue haleine, introspectif jusqu’à l’os ; la musique est alors envisagée comme un refuge, à la fois lieu d’expiation de sa douleur et antichambre de sa renaissance. Ce sera son chemin de croix vers la lumière, un parcours tortueux au cours duquel E aura eu à affronter ses démons intérieurs.

E, on s’en doute, avait beaucoup de choses à nous raconter : soit trente-trois morceaux réunis en un album double, parfaitement maîtrisé sur la longueur. Première révélation : l’atmosphère générale, à la fois cotonneuse et douce-amère, qui n’est pas sans rappeler le premier effort (Beautiful freak). Quelques passages choisis : le très réussi Trouble with dreams, qui invente un groove sépulcral tout à fait approprié pour Halloween, In the yard behind the church qui convoque le fantôme de Nick Drake ou encore le single Hey man, véritable claque euphorisante. En vérité, chaque morceau est une réussite et les écoutes successives permettent d’entrevoir, peu à peu, la profondeur et la richesse émotionnelle de l’œuvre. Côté musique, si l’on regrette que le groupe soit un peu trop en retrait parfois - la majorité des titres a été enregistrée en solo- on est au contraire ravi de retrouver Peter Buck et Tom Waits sur la liste des convives. Autre tour de force : le songwriting, cette faculté de E à transformer tout un abîme de mélancolie en énergie de l’espoir en quelques mots. En cela, E est très proche des premiers chanteurs blues qui, en l’espace d’un couplet, faisaient miroiter ombre et lumière tout en célébrant le bonheur d’être en vie.

Avec Blinking lights..., Eels vient d’imprimer une marque définitive au sommet ; en plus d’être un album magnifique, il s’agit également d’un puissant antidote contre la pâleur et la tristesse du quotidien. Pour, comme le chantent les Monthy Python dans La vie de Brian, "toujours regarder du côté lumineux de la vie".