L’été indé #9 - Atrabile, l’indépendance romande

Fondée à Genève en 1997 par Maxime Pégatoquet, Daniel Pellegrino et Benoît Chevallier, Atrabile naît dans le contexte de développement d’éditeurs alternatifs dans les années 1990 qui, par leur exigence artistique, font souffler un vent de fraîcheur sur la bande dessinée. Le premier objectif des co-fondateurs d’Atrabile est de mettre en valeur la bande dessinée genevoise. Ils créent pour ce faire la revue Bile noire, qui attire de jeunes auteurs suisses talentueux et devient rapidement la matrice de leur politique éditoriale. Le premier numéro de la revue, paru en octobre 1997, accueille notamment Frederik Peeters, Ibn Al Rabin et Helge Reumann (dont on a pu voir le travail dans la très belle exposition Black Medicine à BD Aix ]. Dix-huit numéros de Bile noire voient le jour jusqu’en 2011, à une périodicité irrégulière. Revue expérimentale, Bile noire représente selon l’éditeur « une opportunité unique pour bien des auteurs d’essayer des choses qu’ils n’auraient pas pu faire ailleurs. Et c’est également une chance pour d’autres d’être publiés pour la première fois. » De nouveaux auteurs rejoignent la revue au fil des ans, comme Nicolas Presl, François Olislaeger ou Jason.

En un peu plus de vingt ans, les éditions Atrabile ont développé un catalogue exigeant, avec des livres soignés. L’éditeur a largement contribué à la renommée de la bande dessinée suisse. Derrière le succès des premiers ouvrages du talentueux Frederik Peeters, c’est toute une génération de jeunes auteurs qui ont été lancés par l’éditeur suisse, à l’instar de Michaël Sterckeman, Loo Hui Phang ou Nicolas Presl.

Auteurs & ouvrages à ne pas manquer

Atrabile dispose d’un catalogue touffu parsemé de nombreuses pépites. Plusieurs de ses succès ont été récemment réédités, afin de faire découvrir à de nouveaux lecteurs de ses titres les plus emblématiques. Salué par la critique, le travail éditorial d’Atrabile est régulièrement récompensé par des sélections à Angoulême.

Couverture de la réédition de Pilules bleues, 2014 © Peeters / Atrabile

Premier véritable succès de l’éditeur, Pilules bleues, paru en 2001, est le premier grand livre de Frederik Peeters. Cette autobiographie raconte la relation de l’auteur avec Cati, séropositive, et la vie au quotidien avec la maladie. Un sujet grave traité avec tact par l’auteur, et non sans humour. Le succès critique est immédiat pour l’auteur, qui obtient le prix Töpffer pour la jeune bande dessinée genevoise. L’ouvrage a connu une nouvelle édition augmentée de dix pages en 2013, où Frederik Peeters revient sur le sujet. Du même auteur, nous recommandons également vivement Lupus, série en quatre volumes parus entre 2003 et 2006, où Peeters investit la science-fiction avec brio. Atrabile a réédité la série dans une belle intégrale en 2014.

Première page du premier volume de la série Lupus, de Frederik Peeters -© Peeters / Atrabile

Couverture de Cinq mille kilomètres par seconde © Fior / Atrabile

Prix du meilleur du festival d’Angoulême en 2011, Cinq mille kilomètres par seconde de l’italien Manuele Fior séduit autant par son ambition narrative que par la beauté de ses aquarelles. L’histoire d’amour entre Lucia et Piero est racontée au prisme du temps : le lecteur assiste par séquence à leur rencontre d’adolescents puis à leur éloignement, sans qu’ils ne parviennent à s’oublier. Manuele Fior dresse avec finesse le portrait d’une relation à la fois belle et amère.

Couverture de L’autre fin du monde © Ibn Al Rabin / Atrabile

Reconnu comme l’un des principaux tenants francophones du minimalisme en bande dessinée, Ibn Al Rabin est l’une des figures de proue d’Atrabile. Celui-ci propose dans L’autre fin du monde un livre-fleuve de plus de mille pages. Milch vit dans le manoir de sa fiancé récemment décédée. Tous les soirs, la jeune défunte vient lui rendre visite… mais reste muette. Impossible de communiquer. Pour établir le contact, Milch part consulter… pour soigner sa surdité. Le récit, a priori loufoque, est dense et terriblement drôle, avec de nombreuses trouvailles graphiques qui égayent la lecture, avec la présence subtile d’un « récit dans le récit. » Sélectionné pour le prix du meilleur album à Angoulême en 2007, l’ouvrage a trouvé son public, puisqu’il a connu une nouvelle édition en 2012.

Calendrier éditorial de la rentrée

Trois ouvrages d’Atrabile ont tout particulièrement retenu notre attention. Deux sont déjà sortis au printemps, et l’un paraît au mois d’août. Ceux-ci se trouvent en bonne place dans les bonnes librairies.

Couverture de Lune du matin © Cattani / Atrabile

Lune du matin est le deuxième ouvrage chez Atrabile de l’italien Francesco Cattani après Barcazza. Catani se fait peintre des mœurs dans cet ouvrage sans concession qui met en scène petites frappes, escrocs et autres obsédés dans un monde qui ne tourne pas rond. Cette chronique sociale drôle et acide, dure sans être désespérée, tend un miroir déformant à la société italienne contemporaine. L’ouvrage est actuellement en lice pour le prix Révélation ADAGP / Quai des Bulles de Saint-Malo.

Couverture de la réédition de De la chevalerie, 2018 © Mancini / Atrabile

La réédition de l’excellent De la chevalerie met une nouvelle fois la lumière sur le travail de la talentueuse Juliette Mancini, co-lauréate (avec Elsa Abderhamani) du prix de la bande dessinée alternative à Angoulême pour le fanzine Bien, monsieur. De la chevalerie met brillamment en scène un Moyen-Âge fantasmé où les hommes chassent les autruches à dos de cochons dans lequel on retrouve cependant des éléments historiques bien caractéristiques de cette époque durant laquelle les aristocrates exercent leurs jougs sur les paysans et où les femmes subissent la loi des hommes. Mais ce portrait de société à la fois drôle et inventif par sa forme comme par son sujet parle avant tout de notre propre époque. Jeune autrice engagée, Juliette Mancini propose ici un livre d’une grande maturité qui joue sur sur nos représentations déformées d’une époque sujette à fantasmes.

Extrait de l’incipit de De la chevalerie © Mancini / Atrabile

Enfin, l’éditeur fait paraître au mois d’août Ted, drôle de Coco d’Émilie Gleason, jeune autrice et illustratrice qui a débuté sa carrière éditoriale aux États-Unis avec Salz & Pfeffer (2015). Cet ouvrage au graphisme coloré met en scène la vie de Ted, inspiré du vécu du frère de l’autrice, diagnostiqué Asperger. Loin d’une bande dessinée « témoignage » au propos lénifiant, l’éditeur promet un moment de lecteur immersif et survolté, porté par le trait vif et enthousiaste d’Émilie Gleason, qui a récemment réalisé pour la jeunesse Les gros bras de Polka chez Biscoto éditions. À noter que l’autrice sera présente à la librairie parisienne Bulles en vrac le vendredi 31 août pour une soirée de lancement de son ouvrage. La librairie exposera également plusieurs planches de l’ouvrage.

© Emilie Gleason / Atrabile

L’actualité éditoriale d’Atrabile est consultable sur leur site internet ainsi que sur leur page Facebook.