L’Amérique broie du noir
Le 29 novembre 2005
Grande fresque sur le Liberia, portrait d’une femme habitée par le remords ou chronique sur les rêves perdues de l’Amérique ? Pour son dernier roman, American darling, Russel Banks mixe les genres pour nous livrer au final une œuvre fascinante.
- Auteur : Russel Banks
- Editeur : Actes Sud
- Genre : Roman & fiction
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En d’autres temps, Russel Banks était un portraitiste des petites gens d’Amérique qui n’ont jamais entraperçu une seule parcelle du fameux rêve américain, enfouis qu’ils étaient dans leurs laborieuses conditions. Fils d’ouvrier autodidacte et écrivain engagé, Russel Banks s’est en effet très vite inscrit dans la lignée des Dos Passos et consorts pour chroniquer le monde comme il va chez les anonymes. American darling, son dernier roman, risque au premier regard de dérouter ses habituels lecteurs. La condition sociale de son héroïne aux origines si bourgeoises et si wasp fait en effet tache dans l’univers banksien. Mais très vite, l’histoire d’Hannah Musgrave reprend ses thèmes de prédilection, à savoir l’histoire d’un échec sur fond d’une Amérique en proie à ses frustrations comme à ses contradictions. L’occasion pour l’auteur de faire un retour en arrière sur les quarante dernière années et de rappeler au passage combien le grand pays de la démocratie a pu avoir une politique plutôt douteuse au Liberia.
"Dans toutes ses versions, mon histoire n’est qu’une façon de dire trop tard." Retirée dans sa ferme des Adirondacks, au nord des Etats-Unis, Hannah Musgrave, la soixantaine arrivée, raconte sa vie et ses échecs. D’origine bourgeoise, cette femme n’a eu de cesse de lutter pour ses idéaux de justice et ce, par tous les moyens nécessaires y compris la violence. Elle fait ses premiers pas de militante contre la guerre au Vietnam pour rejoindre le Weather underground, un mouvement d’extrême gauche armé.
Se croyant recherchée par le FBI, Hannah s’enfuit en Afrique pour entamer une nouvelle vie. Mariée à un ministre de Samuel Doe, elle s’implique dans la sauvegarde des chimpanzés pour très vite être rattrapée par la tourmente de l’histoire qui broya le Liberia.
Durant quarante ans, Hannah Musgrave a tenté jusqu’au bout de s’accrocher à ses utopies quitte à abandonner à chaque reprise ses proches, à commencer par ses enfants après le meurtre sous leurs yeux de leur père à coups de machettes. Si la culpabilité taraude la narratrice, son personnage est loin d’être limpide, Banks se gardant bien de nous dévoiler toutes les facettes de cette femme qui ne cessa de se cacher derrière de fausses identités au point d’y perdre un peu de son âme. Son introspection de même n’est pas un simple prétexte pour raconter le Liberia, la guerre civile et les atrocités qu’elle engendra. Tel un miroir, l’histoire du Liberia renvoie dans les faits à celle de l’Amérique et ses démons, le fantôme de l’esclavagisme, le racisme et les actions en sous-main menées pour le contrôle du continent africain. Les errances de son héroïne, ballottée par l’histoire, sont une façon pour Banks d’illustrer de façon brillante celles de l’Amérique avec ses contradictions et son mal-être. Rien d’étonnant à ce que la confession d’Hannah s’achève sur un nouveau drame en passe de survenir sur le sol même d’une Amérique vidée de ses rêves : le 11 septembre. De quoi attendre avec d’autant plus d’impatience l’après-11 septembre chroniquée par une plume aussi intelligente que celle de Banks.
Russel Banks, American darling, (The darling, traduit de l’américain par Pierre Furlan) Actes Sud, 2005, 393 pages, 24 €
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