Histoires de fous
Le 20 août 2004
Fêlé, dingo, barjot, névrosé... Quel que soit le nom qu’on lui donne, le fou fait peur et on préfère éviter d’y penser. Le recueil de nouvelles d’Hubert Ben Kemoun, tour à tour tendres ou bouleversantes, chamboule les préjugés. Un regard salvateur.


- Auteur : Hubert Ben Kemoun,
- Editeur : Thierry Magnier
- Genre : Roman & fiction

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Finalement, la vie au Centre n’est pas si différente de celle que vivent ceux qui se trouvent de l’autre côté du mur. Le Centre ? Un nom bien neutre pour désigner une maison de fous où cohabitent vieillards séniles, gamins en mal d’amour, adultes doux rêveurs... sans oublier bien entendu le personnel soignant et l’encadrement. Un peu comme dans "l’autre vie", l’institution a ses règles, ses repères : les patients ne se mélangent pas, chacun dans son aile. Peu importe de savoir comment les pensionnaires ont atterri là. Il y a Manuel, un adolescent dont on ne peut qu’imaginer l’indicible rapport qu’il entretenait avec son père, Edgar et sa lenteur si caractéristique ou encore Alain et son analyste...
Enoncée de la sorte, on pourrait s’attendre à une galerie de portraits malsaine qui pencherait vers le voyeurisme, mais c’est tout le contraire qui se passe sous la plume sensible et drôle d’Hubert Ben Kemoun. Les dix nouvelles que consacre l’auteur à ses personnages sont empreintes d’une douce poésie qui changent notre regard sur la folie de l’autre. Bien sûr, la souffrance est omniprésente : l’écriture fluide de Ben Kemoun souligne avec justesse la douleur que ressentent ces fous à ne plus pouvoir communiquer avec ceux qu’ils ont aimés avant... Avec élégance, il réussit à s’effacer devant ces malades et c’est leur voix que l’on entend, les mots deviennent les leurs. Le résultat n’en est que plus décalé, un étonnant mélange de burlesque, de fantaisie et d’affliction où la folie ordinaire prend corps.
Et pour mieux souligner cet étrange univers, des séquences sur le quotidien du Centre viennent s’intercaler. Les descriptions sont plus cliniques, les expressions plus détachées : de celles que l’on pourrait employer, comme si la folie pouvait nous contaminer. Car à bien y regarder, la frontière entre nos deux mondes est bien mince. Il est impossible de savoir ce qui peut nous faire basculer. On est comme soulagé de lire ces brefs intermèdes : ils nous permettent de reprendre notre souffle avant de replonger dans leurs histoires.
Hubert Ben Kemoun, À la folie..., Ed. Thierry Magnier, 2004, 121 pages, 14 €