Le 7 août 2022
Don Siegel revisite le film noir avec une œuvre sèche et nihiliste.
- Réalisateur : Don Siegel
- Acteurs : Lee Marvin, John Cassavetes, Angie Dickinson, Ronald Reagan, Clu Gulager
- Genre : Policier / Polar / Film noir / Thriller / Film de gangsters
- Nationalité : Américain
- Distributeur : Ciné Sorbonne (reprise)
- Durée : 1h33mn
- Reprise: 2 août 2017
- Titre original : The Killers
- Date de sortie : 8 novembre 1964
Résumé : Charlie et Lee, deux tueurs à gages, sont envoyés dans une institution pour aveugles afin de tuer Johnny North qui travaille dans cet établissement. Ce dernier ne tente même pas de leur échapper. Intrigués, Charlie et Lee comprennent que leur victime, impliquée il y a quelques années dans un important cambriolage et trahie par sa petite amie, se savait depuis longtemps un homme mort. Ils remontent la filière, retrouvent la fille et le commanditaire du crime, un certain Browning.
Critique : Reprenant le thème d’un film de Robert Siodmak, qui lui-même adaptait une nouvelle de Hemingway, Don Siegel s’écarte des deux pour réinventer, époque oblige, une sorte de néo-noir pessimiste et sec. On peut s’amuser à relever tous les codes du genre pour montrer à quel point le cinéaste les détourne ou les renverse : le film est en couleurs (et même pimpantes), il se passe essentiellement de jour, ce sont les tueurs qui mènent l’enquête, il n’y a ni policiers (du moins pas de vrais) ni détectives, etc. Si tous ces stéréotypes sont inversés, c’est que le temps n’est plus le même : nous ne sommes plus dans une après-guerre où la prégnance du mal trouvait encore un contrepoids mais dans les années 60, aussi colorées que dénuées de sens et de morale. Aucun personnage n’est blanc ici, et le seul à peu près honnête, si l’on oublie son comparse garagiste, Johnny (impeccable John Cassavetes), est manipulé jusqu’à se transformer en gangster,. La différence entre tous ces bad guys est une question de degré et de trahison.
Siegel s’amuse beaucoup à montrer une Amérique triomphante avec ses voitures omniprésentes, mais il en fait un décor déréalisé (aplats de couleur, transparences grossières, toiles peintes évidentes), trop coloré (ah ! Le vert de la moquette dans la chambre de Sheila, qui trouve un écho dans ses vêtements !) et qui n’est plus qu’une scène (au sens théâtral) propice à un affrontement sans pitié. Il enregistre un pays devenu un immense terrain de jeu aseptisé qui n’est qu’une surface : d’ailleurs, à l’image, très souvent, la profondeur est supprimée. Car si le décor est un réseau abstrait, c’est que les personnages eux-mêmes tiennent du pantin ou de l’automate sans épaisseur. Ils en acquièrent au fil du film, parce que le questionnement initial (« pourquoi s’est-il laissé tuer ? ») devient obsessionnel ; de petit grain dans un rouage impeccable, il devient source d’angoisse et de réflexion métaphysique sur le sens de la vie. Charlie cherche une réponse, mais celle-ci vient trop tard, au moment où tous sont condamnés – et elle s’applique alors aussi à lui.
Le scénario de Gene L. Coon (qui travailla avec Jack Arnold pour Une balle signée X, mais c’est à peu près son seul titre de gloire) est remarquable en ce qu’il tisse des liens étroits entre tous les personnages, les nouant deux par deux, avec au centre Sheila : elle est entre deux hommes, qui eux-mêmes ont un comparse, et elle est traquée par deux tueurs. Ce jeu se redouble par des reprises (Sheila reçoit une gifle puis un coup de poing, les courses ponctuent la première moitié du film, le garagiste comme la jeune femme pleurent, entre autres exemples) et de détails qui caractérisent chacun : la coquetterie de Lee, la fatigue de Charlie, mais aussi le jeu des couleurs dans les vêtements de Sheila. Et tous ces êtres, que Siegel regarde froidement, dans une lumière crue, ne sont que des apparences en quelque sorte déjà finies, dépassées, qui appartiennent à un genre lui-même fini. Au fond, le cinéaste filme des ectoplasmes, héritiers dégradés de héros d’une autre époque.
Quête métaphysique, road movie presque parodique, A bout portant est aussi une magnifique étude sur le regard et l’aveuglement : entre l’éclatante séquence d’ouverture dans une école d’aveugles, les bandages de Johnny, la récurrence des lunettes noires, on ne cesse de voir à l’écran des gens qui voient peu, mal, ou de manière déformée. C’est qu’ils ne comprennent pas grand-chose, ne cessent de se faire manipuler : ils pensent avancer en ligne droite alors qu’ils ne font que répéter des comportements inadaptés. Ce sont aussi des êtres impénétrables : que pense vraiment Sheila, elle qui n’a pas de lunettes ? Quant au visage de Lee Marvin, il est froid et indéchiffrable et, au sous-jeu de l’acteur, répond le masque de Reagan. Là encore on est presque dans la morale : les hommes se résument à des actes, eux-mêmes guidés par une pensée atrophiée.
Mais n’oublions pas l’essentiel pour un spectateur : A bout portant est remarquablement efficace, d’une tension sans faille : le montage, sec, est pleinement maîtrisé. Mais plus généralement, Siegel a supprimé le gras de son film et, quand, au bout d’une heure et demie, le dernier personnage meurt, la caméra s’envole en même temps qu’apparaît le carton de fin : tout est dit, inutile d’épiloguer. Au fond, si le cinéaste enregistre la fin d’un genre, il en cherche aussi la quintessence en une œuvre froide, épurée. Un modèle.
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Matti Jarvinen 10 septembre 2020
A bout portant (1964) - la critique du film
Analyse très pertinente : le film ne m’intéressant pas en profondeur, je n’avais pas trouvé autant d’éléments captivants et riches de sens dans ce récit.
Cependant cela n’efface pas quelques scories, dont la principale est la musique, horriblement sentimentale dans les scènes entre Angie Dickinson et John Cassavetes.
Il faut dénoncer sans pitié le responsable, un certain Johnny Williams, devenu le célèbre John Williams.
Comme Beethoven le fit, il devrait effacer ce travail du nombre des compositions qu’il reconnait comme dignes de s’inscrire à son catalogue.
Par ailleurs, je ne trouve pas que John Cassavetes soit aussi "impeccable" que vous le dites.
Mais là, il s’agit d’impressions trop fugaces pour qu’on puisse vraiment les justifier.
Je lis la nouvelle d’Hemingway qui sert de point de départ au film.
Avec ce récit, nous aurions tout au plus un court métrage, qui serait, il me semble,supérieur au film de Siegel.
Je me souviens mal du petit film que Tarkovski en a fait.
Quant aux "Tueurs" de Siodmak, je connais pas le film.