Deux ans de réflexion
Le 31 mars 2020
Le roman d’un enfant gâté s’inspirant de la première tragédie du XXIe siècle. Du Beigbeder à l’état pur.
- Auteur : Frédéric Beigbeder
- Editeur : Grasset
- Genre : Roman
- Nationalité : Française
- Date de sortie : 13 janvier 2005
Résumé : Vous connaissez la fin : tout le monde meurt. Certes la mort arrive à pas mal de gens, un jour ou l’autre. L’originalité de cette histoire, c’est que tous ses personnages vont mourir en même temps et au même endroit. Est-ce que la mort crée des liens entre les êtres ? Le seul moyen de savoir ce qui s’est passé dans le restaurant situé au 107éme étage de la tour nord du World Trade Center, le 11 septembre 2001, entre 8h30 et 10h29, c’est de l’inventer.
Critique : Après sa malheureuse expérience télévisuelle, Beigbeder aurait pu s’en donner à cœur joie. Il a préféré consacrer son nouveau roman à la tragédie du 11 septembre et s’en servir comme d’une "béquille littéraire". Windows on the world, c’est le nom du resto select qui dominait la grosse pomme avant que les tours ne s’effondrent. C’est là qu’un père décide d’emmener ses gosses pour prendre le petit-déjeuner le mardi 11 septembre 2001. Ce père, c’est Carthew Yorston, 43 ans, agent immobilier avec femme et maîtresse, incarnation d’une réussite relative. Ses enfants, Jerry et David, sept et neuf ans, sont fascinés par ce qui va vite, bouffent mal, aiment les supers héros.
En parallèle, un écrivain parisien (prononcer "BÉGBÉDÉ") se plante en haut de la tour Montparnasse pour raconter les Twin Towers s’écroulant dans un fracas assourdissant. Pour tenter de comprendre, de se mettre dans l’état d’esprit des victimes, il se force à regarder Paris du 56e étage, assis à la table d’un resto, stylo à la main. Et c’est parti pour le compte à rebours, pour un enchaînement de séquences égrénant les minutes, entre 8h30 et 10h29. Les jumeaux parlent des jumelles.
Et finalement, c’est l’histoire d’une relation tumultueuse entre les États-Unis et la France, un "je t’aime moi non plus" entre l’Amérique et le reste du monde. Mélange hybride de fascination, de haine, de passion, de dégoût. C’est aussi une réflexion sur ceux qui ont fêté leur vingt ans en voyant s’écrouler le mur de Berlin, qui sont désormais pères de famille après avoir subi l’avènement du porno, du mannequinat et de l’argent facile. On est donc heureux d’apprendre que le brunch du Windows of the world était à trente-cinq dollars, et qu’à la carte du Ciel de Paris, Jean-François Oyon propose des "filets de rougets à la plancha" pour vingt-six euros.
Evidemment, le jeu de Beigbeder a toujours été de faire dans l’égo surgonflé et le "m’as-tu lu" en veux-tu en voilà. Ce qu’il revendique comme sa marque de fabrique, son travers d’écrivain. Et ici, la règle est la même. S’il s’intéresse au 11 septembre, c’est uniquement pour en exploiter le symbole et parler de ses démons. De ses obsessions diverses et variées qui, contrairement au monde qui l’entoure, n’ont jamais bougé d’un iota. Il aime qu’on l’aime. Alors, que ceux qui apprécient la prose "begbédéienne" se rassurent. Windows on the world comblera leurs attentes. Les autres n’y verront qu’un tragique événement récupéré par un ex-publicitaire en mal d’affection, qui souhaite encore et toujours que l’on parle de lui... C’est chose faite.
Frédéric Beigbeder, Windows on the world, Grasset, 2003, 373 pages, 18 €
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lamericano 31 janvier 2006
Windows on the world de Frédéric Beigbeder
Le quatrième de couverture de « Windows on the World » : « Le seul moyen de savoir ce qui s’est passé dans le restaurant situé au 107ème étage de la tour nord du World Trade Center, le 11 septembre 2001, entre 8 h 30 et 10 h 29, c’est de l’inventer ».
C’était écrit, Beigbeder allait s’attaquer à un sujet délicat : les attentats du 11 septembre 2001. Au lieu de cela, on a le droit à une autobiographie dudit Fred. Et la pudeur dans tout cela ? Et le respect des morts ? Non, Fred préfère nous parler de la façon héroïque avec laquelle il a osé voyager bourré en concorde (« il faut vraiment être un kamikaze comme moi pour grimper à bord de cet oiseau à aile delta », sic !) ou de ce moment où il a tenté de se mettre à la place des victimes des attentats en descendant à pieds les escaliers de la Tour Montparnasse ( !). Fred est un héros des temps modernes qui n’hésite pas à user ses berlutis ou à les baigner dans sa glaire.
Fred aime les citations. Quand il explique qu’il est un « handicapé du cœur » en citant « Le mendiant de l’amour d’Enrico Macias », ou quand il raconte la disparition du père en se décrivant comme un dommage collatéral, il frise le ridicule et scande à la manière d’un publicitaire ; mais où est l’auteur, le vrai, celui qui touche le cœur des lecteurs. Fred se contemple en train d’écrire, et parfois (pour faire bonne figure ?) il se dénigre. Ca donne un « je m’accuse » qui commence par « je m’accuse de complaisance dans le narcissisme ». Pour paraphraser Baudrillard dans « Le complot de l’art », ça prétend être narcissique : « je suis narcissique ! Je suis narcissique ! » - et c’est vraiment narcissique. Toute la duplicité de Fred est là : revendiquer la complaisance dans le narcissisme (entre autres), l’insignifiance, viser le narcissisme alors qu’on est déjà narcissique. Viser le non-sens alors qu’on est déjà insignifiant. Prétendre à la superficialité en des termes superficiels... Bref, c’est du narcissisme qui se revendique en tant que tel ; c’est du narcissisme à la puissance deux.
Cela ne serait qu’un impair commis contre la littérature s’il n’y avait pas eu les 2801 victimes. Quand 2801 morts sont des personnages secondaires, retranchés derrière l’histoire d’un pauvre petit homme riche qui pleure sur son sort, ça devient carrément indécent. Fred a poussé le vice jusqu’à appeler le héros pris dans les flammes du WTC du nom de sa grand-mère américaine. Il a trouvé le moyen de se raconter deux fois. On est encore une fois en plein narcissisme à la puissance deux. Carthew tombe rapidement le masque et s’efface progressivement au profit de Fred : tandis qu’au début Fred fait mine de raconter l’histoire de Carthew, à la fin, il fait sauter la couverture : Les passages sur le WTC se réduisent comme peau de chagrin, laissant toute la place au vrai héros de l’histoire, Fred himself.
Windows on the World ? L’histoire d’un type qui va manger dans un restaurant chic de la Tour Montparnasse (et qui se plaint), qui prend l’avion (et qui se plaint), qui va à l’hôtel (et qui se plaint), qui va à des expos (et qui se plaint)... La première phrase de « Windows on the World » est « Vous connaissez la fin : tout le monde meurt ». C’est faux, à la fin, on apprend que Fred s’est marié avec Amélie. Une jolie happy end dans le journal d’un jeune homme bien élevé. Un peu comme le journal de Mickey, sans les grandes oreilles - le menton proéminent en plus -.
Le 11 septembre 2001 comme prétexte pour se raconter... Les « grandes théories » sur les générations et la mondialisation sont presque aussi risibles que les rédactions que l’on confie aux enfants sur le thème : « si j’étais président, je ferais... ».