Voyage en République de Crabe - La chronique BD

A priori, vous n’irez pas passer vos vacances dans la République de Crabe. Les visas sont distribués au compte-goutte façon Corée du Nord, les soldats frontières sont plus méfiants que les gardes du corps de Beyoncé, un nuage noir permanent inonde les terres à la manière des Îles Britanniques, bref une République où il ne fait pas bon vivre et où l’on n’est pas un touriste bienvenu.

Maya est courageuse, sportive, mais son mental et sa santé vont être mis à rude épreuve par ces marais boueux et ces locaux teigneux. Les doubles pages qui renseignent toutefois sur la flore, la faune, l’histoire et les traditions de cette île se font de plus en plus nombreuses, et étrangement de plus en plus intéressantes. Autarcique, démocratique et égalitaire, la République de Crabe a bien une façade rigide et rustique, mais cache sous cette carapace rude un cœur utopique. En comparant son système, certes archaïque au niveau technologique, on se rend compte que cette enclave ne pollue pas, respecte la nature, cherche au maximum le bien-être de ses sujets, a fait disparaître la corruption et les inégalités, allant jusqu’à entretenir un lien fusionnel avec l’île. Alors ce n’est pas l’El Dorado d’un Voltaire, la Bétique d’un Fénélon ou l’Utopia de More, mais cette société se rapproche en vérité d’une certaine perfection, non pas imaginaire, mais finalement plausible. Une de ces sociétés que les anthropologues découvrent de moins en moins, mais qui ont réussi jusque là une vie paisible loin des prétendues civilisations. Montaigne serait ainsi probablement très fier du travail de Tamarsz pour ce qui est du regard du civilisé sur le prétendu sauvage.

© Delcourt

Côté dessin, les couleurs bronzes, marrons ou grises qui contrastent avec des morceaux de blanc ou de noir donnent une originalité à l’ensemble. Des traits que l’on peut à la fois qualifier de futuristes ou de hiéroglyphes participent à créer un album riche, un adjectif qui convient bien à la reliure et le format ou le doré s’invite. Une richesse qui passe par le style épuré, les visages masqués ou les costumes au premier regard sans relief. Pourtant, c’est bien un style, propre et riche, qui se définit peu à peu au fil des pages.

© Delcourt

Récit d’une livraison difficile en terre utopique, Voyage en République de Crabe est une œuvre moderne, avec un œil neuf sur ce que pourrait donner une société close mais heureuse. Un message bien caché, mais une volonté et un rendu très originaux.