Le 6 avril 2025
Si le sujet est éminemment d’actualité, son traitement entre le mélodrame et la comédie décalée noie un peu le poisson dans l’eau, au lieu d’aborder plus frontalement la gravité du problème. Un premier film maîtrisé et très original.


- Réalisateur : Hélène Merlin
- Acteurs : Zabou Breitman, Éric Ruf, Guillaume Gouix, Agathe Rousselle, Billie Blain, Florian Lesieur, Laïka Blanc-Francard
- Genre : Drame, Teen movie
- Nationalité : Français
- Distributeur : Zinc Film
- Durée : 1h43mn
- Date de sortie : 2 avril 2025

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Résumé : Été 1998. Campagne. Cassandre a quatorze ans. Dans le petit manoir familial, ses parents et son frère aîné remarquent que son corps a changé. Heureusement, Cassandre est passionnée de cheval et intègre pour les vacances un petit centre équestre où elle se fait adopter comme un animal étrange. Elle y découvre une autre normalité qui l’extrait petit à petit d’un corps familial qui l’engloutit...
Critique : Hélène Merlin n’aborde pas l’inceste pour la première fois. C’est un sujet qui la travaille depuis longtemps, et quand elle ouvre son premier long-métrage en explicitant que le récit est inspiré de faits réels, on se demande si elle parle vraiment de sa propre expérience. C’est sans doute la raison qui pousse la réalisatrice à aborder la question sur un ton assez décalé, presque burlesque, avec des personnages de fiction hauts en couleur, pétris de théâtralité. Cassandre est donc un film sur la violence incestueuse entre une adolescente de quatorze ans et un frère aîné, ténébreux et manipulateur. Il faut dire que la famille où tout ce petit monde évolue respire la névrose, avec ce père militaire, rigide et obsessionnel, cette mère étouffante et hystérique et, de très loin, deux filles aînées qui ont fui le domicile parental.
- Copyright Shanna Besson
La comédienne Hélène Merlin s’essaye au cinéma dans un récit assez casse-gueule. La famille habite une sorte de château monstrueux, à l’image de ce couple parental autant déjanté qu’effrayant. L’inceste, l’abus de toute sorte, transpirent dans les murs. Les habitants se baignent nus dans la piscine, les attouchements toxiques semblent le moteur des relations intra-familiales et les parents recèlent dans leur étrangeté un passé glauque et traumatique. Hélène Merlin adopte une tonalité assez équivoque pour témoigner de l’horreur subie par sa jeune héroïne. Le scénario donne à voir et à penser toute l’ambiguïté comportementale des victimes de viols et d’inceste, rappelant toutefois avec force qu’il ne faut pas se tromper de victime. En ce sens, le long-métrage semblent faire un clin d’œil à l’actualité judiciaire du moment, dans la mesure où les victimes peuvent parfois céder à des attitudes ambivalentes qui révèlent leur très grande souffrance et peuvent conforter les auteurs dans leur récit de déni.
Cassandre est un film assez troublant, qui ne cherche pas appuyer l’horreur de l’abus. Au contraire, la fiction est étayée par une très jolie histoire d’amitié quasi amoureuse, entre l’héroïne et une jeune apprentie palefrenière, histoire qui va se révéler l’arme de salut pour Cassandre. La relation que l’adolescente construit avec le patron du centre équestre est tout aussi pertinente, la môme cherchant dans cet homme un référent, un père et sans aucun doute un témoin du drame qui abîme sa vie. La réalisatrice joue sur la complexité relationnelle et notamment la difficulté pour les adultes à assumer leur autorité et leur statut. En l’occurrence, Hélène Merlin dénonce à bas bruits la caution des adultes face aux violence que la jeune fille subit.
- Copyright Shanna Besson
Le long-métrage révèle deux acteurs absolument époustouflants dans les rôle difficile qu’ils incarnent. On pense d’une part à Billie Blain qui permet à son personnage de revêtir une grande nuance dans l’expression de sa douleur ; on songe surtout à Florian Lesieur qui interprète l’auteur des violences sexuelles, non pas comme un monstre mais finalement tel un être aussi dangereux qu’extrêmement fragile et marqué par des relations toxiques avec ses parents. En réalité, grâce à leur jeu tout en subtilités, les vrais auteurs du crime demeurent les parents qui couvrent, quand ils ne créent pas ce système quasi féodal, d’une perversité inouïe. Car c’est bien le système qu’elle met en cause, dans une tonalité presque joviale, qui ne peut que laisser le spectateur totalement pantois.
Cassandre propose une vision assez déconcertante sur les violences sexuelle intra-familiales. On peut tout à fait comprendre l’adhésion du public à cette histoire, même si la mise en scène empêche une certaine forme d’empathie à l’égard des personnages, et particulièrement l’héroïne abusée. L’originalité du ton constitue la matière cinématographique avec laquelle la réalisatrice choisit d’aborder cette thématique si âpre. On ne peut évidemment pas dire que le spectateur n’est pas touché par ce récit, mais le choix de mettre en scène des personnages hors sol, totalement déjantés, fait perdre de vue que l’inceste est un mal insidieux qui broie des milliers de familles ordinaires. On reste donc un peu en suspens à la fin du film, même si, indéniablement, le talent de la réalisatrice est incontestable.