Viaticum

A la première écoute, on reconnaît immédiatement le style intuitif d’Esbjörn Svensson, profondément marqué par celui de Thelonius Monk (pour preuve, son album EST plays Monk) : des phrases musicales composées de courts fragments mélodiques, hachées en menus morceaux qui évoquent l’image d’escaliers musicaux, bien que lesdites divisions aient tendance à s’allonger dans le temps, et à développer entre elles des liens significatifs plus complexes. Dans la tendance du jazz moderne, le trio s’éloigne de plus en plus de la forme basique thème/improvisations pour se tourner vers des compositions plus écrites, plus arrangées. Les morceaux sont animés de mouvements progressifs - une structure plus proche du rock, le meilleur exemple étant ici la sombre Letter from the Leviathan -, mais laissent toutefois la part belle à l’improvisation des musiciens.

Le batteur et percussionniste Magnus Öström est toujours aussi surprenant dans ses rythmiques délicates et complexes, variant avec une grande subtilité le panel de ses sonorités, bien que les bongos et congas qui donnaient un aspect délicieusement exotique à son jeu aient totalement disparu (à l’exception notable de The well-wisher). Dan Berglund, le bassiste, n’hésite pas non plus à étoffer ses grattements avec quelques effets de distorsion occasionnels, dont l’aspect inquiétant permet par exemple de figurer l’instabilité politique internationale dans The unstable table and the famous fable.

Finalement, et même s’il ne cherche pas foncièrement à faire dans l’originalité et se contente de suivre un mouvement déjà amorcé, cet album est le fruit d’une évolution qui suit son cours, s’affinant : l’évolution de trois musiciens dont les jeux respectifs s’enchevêtrent de plus en plus lestement. On l’accueille donc avec un indéniable plaisir, même si nos revendications d’auditeurs viscéralement exigeants nous font réclamer plus de fraîcheur.