Identification d’une femme
Le 8 novembre 2015
Les premiers pas de Jane Campion, fatalement féministes et oniriques, sous le signe du drame de l’adolescence. Beau premier long métrage mutin et affranchi.
- Réalisateur : Jane Campion
- Acteurs : Kris Bidenko, Emma Coles, Kris McQuade
- Genre : Drame
- Durée : 01h16mn
- Date de sortie : 21 novembre 1987
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Année de production : 1987
Les premiers pas de Jane Campion, fatalement féministes et oniriques, sous le signe du drame de l’adolescence. Beau premier long métrage mutin et affranchi.
L’argument : Deux jeunes adolescentes, encore amies quelques mois auparavant, se sont éloignées l’une de l’autre. Elles étaient dans la même école et espéraient poursuivre leur scolarité ensemble, dans un institut réputé où elles étaient admises. Le beau-père de l’une d’entre elles en a décidé autrement, l’empêchant malencontreusement de s’épanouir et de développer ses talents comme elle le désirait. Cette décision a entraîné chez elle un sentiment de désespoir et une déchéance (fuite, drogues, relations sans lendemain...). Le film raconte, à rebours, la succession d’événements et de choix personnels qui ont conduit à ce drame.
Notre avis : Au premier contact, Two Friends a de quoi surprendre le cinéphile déjà sensibilisé à la touche Jane Campion. La colorimétrie et le grain renvoient étonnamment à l’incroyable Spetters de Paul Verhoeven. Sans doute faut-il y voir là un même vent de liberté et de révolte, ne serait-ce que dans le dépouillement de la lumière (à défaut de nudité) et en matière de représentation de la femme. Mais aussi évidemment quelque chose d’inhérent au cinéma des années 1980. En substance, le propos est déjà celui qui alimentera toutes les oeuvres de la réalisatrice : les protagonistes principales sont deux jeunes filles se débattant inconsciemment dans un monde d’oppression (masculine et morale). Univers où les garçons de leur âge se distinguent d’ailleurs encore difficilement de la gent féminine, aussi bien de par leur accoutrement que dans leurs manières. Un symbole appliqué à dessein par la cinéaste. Dans ce tout premier long métrage, Campion esquisse des personnages de premier plan s’apparentant à des archétypes de femmes libres - féministes qui s’ignorent. Leur désinvolture et leur remise en question perpétuelle de l’ordre établi est la clé de leur rapport aux choses. Si Two Friends doit se lire comme un drame de l’adolescence au sens classique, celui-ci se distingue par une radicalité évidente qui n’est pas sans rappeler le caractère séditieux d’un Rainer Werner Fassbinder.
La structure de Two Friends suit une trajectoire chronologique inverse (à la manière d’Irréversible). L’on commence par le drame pour aboutir à son origine. Le point de départ consiste à dépeindre la somme de deux destins diamétralement opposés : celui d’une jeune femme se laissant progressivement happée par la morale judéo-chrétienne bien-pensante, puis celui d’une seconde ayant préféré échapper au monde pour mieux le transcender à la marge et laisser parler ses désirs. Pour Campion, Kelly et Louise sont les deux faces d’une même pièce : un être désinvolte et admirable polarisé par deux extrêmes auxquels il est impossible de se dérober. Déjà ici, Jane Campion fait preuve d’une fantaisie caractéristique qui la suivra tout au long de sa carrière. Si les intérieurs - souvent arides et sous-exposés - peuvent quelque part rappeler le courant Dogme95 des Lars Von Trier et autres Thomas Vinterberg, les extérieurs s’avèrent plus travaillés. Lorsque Kelly regagne à l’improviste le domicile de ses parents pour l’anniversaire de sa mère, un plan l’immortalise depuis la rue passant devant un groupe d’enfants avant de s’introduire dans la maison. Ces derniers jouent alors dans une lumière quasi crépusculaire - manière de signifier la jeunesse consommée et décadente de Kelly. L’image est superbe, le laconisme stupéfiant.
La vision la plus frappante de Campion arrive dans la dernière partie du long métrage. Lorsque la chronologie nous ramène aux évènements les plus anciens, Louise lit une lettre envoyée par Kelly. Pour la représenter, la cinéaste en passe par le rêve et n’hésite pas à dessiner des motifs directement sur la pellicule. La mise en scène et les actrices baignent alors dans une atmosphère surréaliste et acidulée vivifiante. La liberté qui suintait depuis le début de film à chaque plan jaillit alors tout à coup de façon éclatante. C’est dans ces moments que le cinéma de Campion s’impose comme une matière à la fois pointilleuse et indisciplinée, capable de partir hors frontières d’un battement de cils. Moins ambitieux (mais plus libre) peut-être que quelques films ultérieurs de la réalisatrice, Two Friends est touchant, humble et exigeant. Sa spontanéité impérieuse en fait une œuvre de jeunesse incontournable. Admirable point de départ d’une filmographie hors norme qui défendra chaque fois corps et âme la femme, ses fantasmes et sa position dans l’échiquier social. L’histoire d’un combat à grand coup de caméra.
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