Une femme sous influence
Le 11 juillet 2024
Ce qui pourrait passer ici pour un film en costume académique n’est rien de moins peut-être que le manifeste du cinéma de Jane Campion. L’histoire sibylline d’une femme insaisissable prisonnière de ses fantasmes.
- Réalisateur : Jane Campion
- Acteurs : Nicole Kidman, Barbara Hershey, John Malkovich, Christian Bale, Viggo Mortensen, Richard E. Grant, Shelley Winters, Martin Donovan, Mary-Louise Parker, Valentina Cervi, Shelley Duvall, John Gielgud, Roger Ashton-Griffiths
- Genre : Drame, Mélodrame
- Nationalité : Américain, Britannique
- Durée : 2h23mn
- Date télé : 27 mars 2023 13:35
- Chaîne : Arte
- Titre original : The Portrait of a Lady
- Date de sortie : 18 décembre 1996
- Festival : Festival de Cannes 1996
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Résumé : À la fin des années 1800, Isabel Archer, jeune Américaine en visite chez ses cousins anglais, choque son entourage par son esprit libre et aventureux. Son cousin Ralph, phtisique incurable, l’aime en secret. Elle part à Florence où une amie la jette dans les bras de son amant, Gilbert Osmond. Isabel l’épouse. Quelques années plus tard, elle découvre qu’elle a été manipulée. Elle affronte son mari et retourne auprès de Ralph, qui lui avoue son amour sur son lit de mort.
Critique : Singularité que partagent certainement la plupart des œuvres de Jane Campion : Portrait de femme ne se laisse pas déchiffrer lors du premier visionnage, ou difficilement. À première vue, le quatrième long métrage de la réalisatrice néo-zélandaise peut s’apparenter à un banal film en costume, avec tout ce que cela implique d’académisme. Mais pour quelqu’un connaissant la filmographie de la cinéaste et son rapport privilégié à la condition féminine, ses choix - d’où émerge un certain systématisme - s’avèrent finalement plus logiques et intelligibles qu’ils ne le semblent. Schématiquement, la trajectoire tortueuse d’Isabel Archer (Nicole Kidman) peut se résumer par le célèbre adage pascalien : "le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas". Tout l’enjeu de Jane Campion semble ainsi de dévoiler le caractère insondable de son héroïne, de formaliser les ténèbres qui la submergent et l’éveil progressif de sa conscience. De quoi quelque part introduire l’incompris Bright Star.
- © PolyGram Film Distribution
En amorce de Portrait de femme, alors que le générique n’a pas encore fait irruption, l’on entend une femme parler de sa passion pour le (premier) baiser, puis d’autres évoquer l’amour. Ces voix s’entremêlent jusqu’à former une matière sonore sibylline. Puis leurs visages apparaissent à l’écran et finissent eux aussi par se confondre les uns aux autres. Femmes contemporaines et du passé s’entrecroisent jusqu’à ne laisser finalement apparaître, après que le titre du film soit venu s’inscrire sur la paume d’une main féminine, le visage de Nicole Kidman. Cette lady en vacances chez son oncle d’Angleterre, dont Jane Campion ne laisse voir en peintre que le visage couvert de larmes, est peut-être la matérialisation de tous les désirs amoureux évoqués quelques secondes plus tôt par les jeunes femmes. Toutes ces femmes aperçues dans l’introduction sont donc comme réunies en une seule. Mais de cette hybridation affleure l’échec et la tristesse, qui viennent se substituer à l’onirisme et à l’idéalisme romantique des premières secondes.
- © PolyGram Film Distribution
Tout Portrait de femme se veut le cheminement d’une femme éprise de liberté et fantasmant l’amour, mais restant paradoxalement captive de ses propres idées. Isabel Archer a beau cherché l’amour, elle ne cessera systématiquement de le déjouer, de même que le mariage, prétendument par liberté. Comble de cette construction mentale où amour et désir n’apparaissent plus que comme des fantasmes issus de l’imaginaire, elle finit par céder au mariage avec un homme pauvre et cupide - Osmond, sorte de marquis de Sade opportuniste. Ne lui reste plus que le rêve pour imaginer tous les hommes précédemment éconduits, la caressant. Sans doute son romantisme jusqu’au-boutiste est-il la pierre angulaire de son aveuglement, elle qui ne différencie pas l’être aimant de l’être destructeur. Toute la mise en scène, laissant apparaître rideaux, portes closes, barreaux de fenêtre, cage, verre retourné, consiste alors à dépeindre cette situation d’enfermement. Même Florence et ses environs, habituellement représentée comme un havre de paix idyllique et ensoleillé, est absorbée - comme dans Hannibal - par l’obscurité et la torpeur. Il y a quelque chose de putride dans cette représentation romanesque de l’Italie.
- © PolyGram Film Distribution
Petit à petit, tous les espaces traversés par Isabel semblent rongés par la mort et la désolation, un peu dans la veine gothique du Dracula de Francis Coppola. Plutôt qu’un scénario linéaire et transparent, le film dérive peu à peu vers un monde impénétrable où ne surnagent plus que les fantasmes et les regrets. Impossible dès lors de comprendre Isabel : changeante, versatile, ondoyante, incertaine... ses contours semblent de plus en plus flous. Échappant à tout et ne concrétisant rien, elle semble effrayée par les hommes et par la sexualité sans pour autant renoncer à les désirer - n’est-ce pas là le propre des Nastassia Filippovna et autres Aglaïa Ivanovna (L’idiot, de Dostoïevski ?) Cette matière mouvante et précaire, où la lumière hyper-contrastée joue un rôle prépondérant, pourrait à elle seule résumer tout le cinéma de Jane Campion.
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