Le 17 janvier 2012

- Réalisateur : Jannicke Systad Jacobsen
A la rencontre de la réalisatrice de Turn me on.
A la rencontre de la réalisatrice de Turn me on
aVoir-aLire : Votre film, curieux mélange d’onirisme et de crudité, peint une adolescence bien loin de la candeur qu’on lui prête habituellement. Pourquoi avoir choisit un tel contraste ?
Jannicke Systad Jacobsen : Pour moi, il n’y a rien de plus dur et de plus brutal que l’adolescence. Dans mon film, les paysages sont magnifiques mais aussi effrayants et menaçants. La nature, le froid, le nord, ce n’est pas un endroit où il est facile de vivre et de cultiver des choses. A mon sens, rêver est une qualité dans cet environnement tranchant, voire violent. Cela permet d’adoucir les contours. Cette jeune fille, idéaliste et romantique s’échappe de la dureté des montagnes par le biais de l’imagination. C’est finalement son seul refuge.
L’écriture occupe une grande place dans Turn me on. Etes-vous comme le personnage d’Alma, une grande conteuse d’histoires ?
Jannicke Systad Jacobsen : L’écriture a été l’étape la plus longue du projet. Mais c’est surtout parce que j’ai du faire un gros travail d’adaptation à partir du livre d’Olaug Nilssen. Dans le roman, il y a trois histoires, trois intrigues, trois figures principales. Au fil de ma lecture je me suis rendu compte que je devais recentrer le récit pour fortifier le propos. J’ai commencé par enlever un personnage, puis un deuxième, pour finir par ne garder qu’Alma. Ce qui m’intéressait surtout, c’était ce ’’story-telling ’’ répété dans l’histoire. Une petite chose arrive et elle est répétée, répétée, répétée, jusqu’a devenir un événement presque mythologique. A chaque répétition, l’événement prend un sens différent, au point de tomber dans l’absurde, le surréalisme, et le fantasmatique.
Justement sur ces deux dimensions, le fantasme et la réalité, pourquoi avoir choisi une même construction plastique et sonore plutôt que deux univers singuliers ?
Jannicke Systad Jacobsen : Tout simplement parce-que pour Alma ses fantasmes sont aussi importants que la réalité. Je voulais éviter un traitement différent. Généralement dans le cinéma lorsqu’une séquence bascule dans le rêve, la lumière, le montage, le jeu d’acteurs, tout change. Or, je tenais vraiment à mettre ces deux mondes sur le même plan, pour mieux respecter le point de vue d’Alma. Dans Turn me on le rêve est très sérieux et revêt même une certaine gravité. Et puis cette fusion audio-visuelle permet de créer du suspense et de l’humour. On ne sait jamais vraiment ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Certains spectateurs confient même ressentir du soulagement quand ils se retrouvent confrontés à une scène étrange et qu’elle se révèle en fait être le fruit de l’imagination d’Alma !
Votre film possède une lumière très douce et très froide à l’image de cette adolescence en terre reculée. Ici l’isolement et la solitude sont à prendre au sens large mais aussi au sens figuré. Pourquoi ce choix d’une jeunesse provinciale et non citadine ?
Jannicke Systad Jacobsen : De mon point de vue, cette histoire d’exclusion est plus intense dans le cadre du petit village. En ville, il aurait était facile pour Alma de se faire d’autres amis. Ici elle est foutue, elle n’a pas le choix, pas d’alternative. Elle est condamnée à rester seule avec les moutons ! (rires) En ville, elle aurait cherché une bande de marginaux avec qui traîner. Et puis il faut garder à l’esprit que c’est une adaptation et que le livre est situé dans cette région précise de Norvège, région connue pour sons sens de l’humour bien particulier. De plus mon parcours de documentariste m’a poussé à rester fidèle au livre. Cela ne me venait pas naturellement d’expatrier le récit. Enfin au cinéma, les environnements humains sont plus compacts. Ce sont de véritables microcosmes. Dans une intrigue il y a rarement plus de dix protagonistes (le héros, l’héroïne, les parents, les copains) et le nombre de lieux est réduit (l’école, la maison, le supermarché). L’exiguïté du lieu accroît d’autant plus ce phénomène et la marginalisation se fait plus efficace, plus visible. Dans son village, Alma est vraiment seule et sa différence tranche dans le cadre.
Avec un cadre de conte de fées fait d’immenses forêts, de princes et de princesses, et de happy-end, Turn me on confère pourtant une certaine noirceur à l’adolescence. Etait-ce important pour vous de garder un arrière-plan féerique et une tonalité presque candide dans un cadre réaliste ?
Jannicke Systad Jacobsen : En tout cas ce n’était pas pour contourner la censure comme le pensent certains. Comme le livre est plus noir et plus détaillé sur la question sexuelle, il est vrai que certains s’attendait à un film plus sombre. S’il est davantage ’’lumineux’’, je pense que c’est surtout parce que dans mon esprit, Alma est encore vierge. Elle a quinze ans et n’a peut-être jamais embrassé un garçon. Elle est romantique, idéaliste, et un peu naïve. Elle ne sait pas encore que certaines fois ça ne marche pas entre deux personnes, qu’on peut aussi ne pas s’entendre sexuellement. Elle a une image parfaite de l’amour, de ce qu’est ou doit être un petit copain. Comme le film est tourné à travers son regard, cela offre une vision très pure du couple : deux êtres qui se tiennent la main et qui sont proches l’un de l’autre, tout simplement. Et au final, à chaque fois qu’elle s’imagine couchée auprès du garçon de ses rêves, il n’y a pas de sexe. Pour Alma et pour beaucoup de jeunes filles, un amoureux c’est quelqu’un qui vous tient dans les bras. Moi-même c’est ce que je préfère encore ! On peut avoir de mauvaises expériences sexuelles mais pas de mauvaises expérience de main dans la main ! (rires). Et puis c’est aussi ça le premier amour. L’intensité, l’absolu, cette sensation de pouvoir mourir pour la personne, de pouvoir se sacrifier, d’être libre et seuls au monde, comme dans un film... Je trouvais ça touchant et émouvant de les voir courrir ensemble en pleine forêt. Un peu mélancolique aussi.
Vos personnages féminins sont aussi stéréotypés et symptomatiques de notre époque. Entre la gothique rebelle, la fille populaire, et la rêveuse marginale, le tableau est complet ! Etait-ce pour vous le meilleur moyen d’installer humour et auto-dérision ?
Jannicke Systad Jacobsen : Oui clairement. Je voulais montrer qu’elles sont à la fois originales et singulières, ce qui ne les empêche nullement d’être amies. En fait elles sont obligées de le devenir ! (rires). Dans ce trou perdu, elles sont coincées ensemble et doivent donc se côtoyer alors que dans une grande ville, elles auraient trouvé un groupe qui leur ressemble.
aVoir-aLire : Si je vous demandais de vous identifier à l’une de vos trois héroïnes, laquelle choisiriez vous ? Ingrid et son gloss rose, Sara-Lou et ses envies de voyages, ou Alma et ses rêves de grand amour ?
Jannicke Systad Jacobsen : Sans aucun doute Sara-lou.