Fuguer
Le 14 avril 2012
Jolie chronique douce-amère, déviant de son postulat de série noire pour mieux exorciser la dépression de ses personnages, lancés dans une cavale policière entre France et Allemagne.
- Réalisateur : Emily Atef
- Acteurs : Christine Citti, Maria-Victoria Draqus, Roeland Wiesnekker, Wolfram Koch
- Genre : Drame
- Nationalité : Français, Allemand
- Titre original : Töte mich
- Date de sortie : 25 avril 2012
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Année de production : 2010
Jolie chronique douce-amère, déviant de son postulat de série noire pour mieux exorciser la dépression de ses personnages, lancés dans une cavale policière entre France et Allemagne.
L’argument : Adele est une jeune fille de quinze ans et elle veut mourir. Timo vient de s’évader de prison où il était condamné pour meurtre. Blessé, il trouve refuge dans la ferme des parents d’Adèle. La jeune fille lui fait alors une étrange proposition : elle l’aide à s’enfuir à condition qu’une fois en sécurité, il la tue. Timo, acculé, accepte cette macabre alliance.
Notre avis : Il y a d’abord ce titre, Tue-moi, sur lequel il est difficile de passer pour aborder le nouveau long-métrage d’Emily Atef. On pourra le juger provocateur, hors de propos par rapport à ce qui est montré : c’est que le film, entre road movie et polar rural, commence dans l’ombre mais prend progressivement le parti de la lumière. Disons que, comme la trame qui lui sert de point de départ, le suicide n’est qu’une porte d’entrée comme une autre, qui colle parfaitement à la crudité rêche des premières minutes. Mais à la faveur de leur avancée, poussant la cavale depuis l’Allemagne jusqu’au Sud de la France, Tue-moi finira par nous raconter autre chose de ses personnages, quelque chose de plus doux mais de pas moins profond, troquant bientôt la pulsion de mort contre celle – peu originale, mais on fait avec – de la renaissance.
Premières précautions à prendre pour rassurer les futurs spectateurs et évoquer le nouveau d’Emily Atef, quatre ans après L’Étranger en moi – drame sur la dépression post-partum, déjà bien cafardeux en soi, remarqué à sa juste valeur dans ces pages. Avec son récit de kidnapping en rase campagne, de film d’évasion au milieu des vaches, Tue-moi aurait se laisser aller à une pente sordide, genre revival de l’affaire Kampusch à la sauce Michael. Or, la réalisatrice fait exactement le contraire, préférant les chemins de traverse aux routes trop balisées. L’enlèvement d’Adele par Timo est plutôt un ’’demi-enlèvement’’, qui plus est consenti : malgré son physique d’ogre, le fuyard ne sera jamais diabolisé. Aucun "syndrome de Stockholm" à l’horizon non plus, même si le personnage de l’ado (qui approche de son éveil sexuel) se prêtait bien à cette facilité... Non, Atef choisit une voie douce-amère, plutôt étonnante : celle de l’amitié sincère teintée de sentiment paternel.
Atrabilaire, taiseux, Timo finit par s’attacher à cette gamine qui s’accroche à lui comme une promesse, (se) cachant son désir de vie derrière ses velléités de suicide. Plutôt que de cavale, on parlera de fugue, et tant pis si tous les flics d’Outre-Rhin sont à leurs trousses : ces deux-là sont lancés dans les forêts suisses comme à l’assaut d’une dernière chance, entre dureté de la pierre et douceur des fourrés. Le plus proche souvenir cinématographique qu’on pourra évoquer (et pas des moindres) est celui d’Un monde parfait, magnifique balade mélancolique de Clint Eastwood, un peu (injustement) oubliée aujourd’hui. Sauf qu’Atef n’est pas imprégnée des codes de la tragédie comme l’est son homologue hollywoodien, et choisit délibérément de terminer son récit sur une note d’espérance. Cette issue, qui pourra paraître gnan-gnan aux plus aigris, est en réalité parfaitement surprenante pour un tel postulat, poussant ses parti-pris avec une radicalité qu’on aurait tort de relativiser.
Pour autant, Atef n’enjolive pas son film outre mesure : la musique est rare, le filmage est réaliste, proche de cette ’’nouvelle vague’’ du cinéma allemand que certains critiques ont pu observer ces dernières années (avec des œuvres comme Le Braqueur par exemple). Tremblée, privilégiant les gros plans et la caméra à l’épaule, l’image pourrait être numérique... mais il s’agit d’un Scope, choix bizarre au premier abord, qui prend toute sa mesure lorsque Timo et Adele débouchent à Marseille, devant la mer Méditerranée. Les paysages ensoleillés, saisis avec une beauté brute, siéent à la dimension positive du propos final, sans l’enrober dans une imagerie de conte de fées pour autant. Car les quelques trouées lumineuses du récit arrivent toujours par surprise, comme tombées du ciel, sans qu’on les ait anticipé... Une bagnole qui s’arrête au bord d’une route, et c’est une Française avec qui Timo file un brin de romance (et quand cette Française est jouée par la délicieuse Christine Citti, le plaisir est redoublé). Un ballon qui lui arrive dans les pattes, et Adele entame une partie de foot comme elle n’en a jamais connue dans sa vie, s’éveillant aux autres et à elle-même, dans un écho lointain à Tomboy (scène similaire, enjeux approchants, même ambiguïté de genre). Et tout cela sans se départir d’une exigence ’’réaliste’’ et stylistique, qui pourra rappeler celle des frères Dardenne – notamment leur dernier né, Le Gamin au vélo.
Il est d’autant plus dommage que, dans l’approche de Timo et d’Adele, la réalisatrice ait fait dans la demi-mesure. L’absolue trivialité avec laquelle elle démarre son film est aussi sa force : in medias res, Tue-moi se vit alors comme une rencontre insensée entre deux êtres que tout oppose, mais pas tant que ça, tous deux sans histoire, sans passé, un peu dingos. Le curieux lien qui se tisse entre eux tient du mystère, d’une inter-compréhension entre marginaux, d’autant plus belle qu’elle est tue et ne ’’s’explique’’ pas. Puis Emily Atef se sent obligée de donner des raisons à leur comportement, s’embarrassant de ficelles scénaristiques qui en réduisent la portée : il faut forcément que les personnages aient subi un traumatisme dans leur jeunesse (père violent pour l’un, mort d’un proche pour l’autre) pour être ainsi des cabossés de la vie. Béquilles psychologiques peu appuyées (heureusement !), mais qui illustrent le petit échec du film, celui de ne pas avoir su donner entièrement corps à ses personnages. Adele et Timo en restent au stade d’esquisses auxquelles on peine à s’identifier tout à fait, malgré toute la douleur qu’ils portent en eux, malgré une paire de comédiens très solides et qui ne déméritent pas dans des rôles parfois ingrats.
Entre absolue radicalité et respect de certains codes, Emily Atef n’a donc pas tranché, réalisant un long-métrage attachant mais qui ne marquera pas vraiment les mémoires. Pour autant, on aimerait la suivre à la trace, elle et ses deux comédiens, et voir ce qu’ils nous réservent à l’avenir – la petite Maria Dragus s’est d’ailleurs déjà faite remarquer dans Le Ruban blanc d’Haneke. Une œuvre trans-frontalière qui ne manque pas de charme et mérite clairement qu’on y fasse un petit détour, qu’on soit allemand ou français, en région PACA ou à la frontière suisse... et plus si affinités.
TUE-MOI Bande annonce VOSTF from les films du losange on Vimeo.
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