Première classe
Le 10 septembre 2016
Avant de devenir le chantre de la screwball comedy, le grand Howard Hawks signait une œuvre burlesque mineure. Où le cabotinage de John Barrymore ne suffit pas à garder sauf l’édifice filmique, trop souvent vampirisé par son homologue le théâtre.
- Réalisateur : Howard Hawks
- Acteurs : John Barrymore, Carole Lombard, Walter Connolly, Roscoe Karns, Ralph Forbes
- Genre : Comédie
- Nationalité : Américain
- Durée : 01h31mn
- Titre original : Twentieth Century
- Date de sortie : 5 octobre 1934
- Festival : Festival de Venise 2016
L'a vu
Veut le voir
Mostra de Venise 2016
Venezia Classici
Résumé : Dans le train Twentieth Century Limited reliant Chicago à New York, Oscar Jaffe, un producteur de théâtre imbu de sa personne, dont les dernières productions ont fait des fours, retrouve Lily Garland, une actrice qu’il a lancée quelques années auparavant et qu’elle a quitté pour Hollywood, ne supportant pas sa jalousie et son égocentrisme. Il rêve de remonter un spectacle avec elle, mais elle ne veut plus travailler avec lui.
Notre avis : Pour sa première comédie parlante - et quelque part sa première comédie burlesque tout court, si ce n’était son film perdu Si nos maris s’amusent (1927) -, Howard Hawks convoque la fureur gantée de velours de Carole Lombard et la bienveillance machiavélique de John Barrymore. Mais là où le spectateur était en droit d’attendre une écriture ciselée de la part d’un scénario auxquels participèrent entre autres Ben Hecht (Scarface, 1932), Charles MacArthur (La Dame du Vendredi, 1940) ou encore le grand Preston Sturges – non crédité -, le rendez-vous ne s’avère que trop manqué ici. Quatre ans avant les fulgurances loufoques de L’impossible monsieur Bébé, essence même de la screwball comedy, le génie de Howard Hawks patine dans ses va-et-vient entre théâtre filmé et pur cinéma. Lui dont le langage filmique n’avait plus de secret depuis les prouesses de Scarface s’enferme dans un dispositif aussi creux qu’attendu. En amorçant son film par la seule représentation d’un plateau de théâtre dirigé par un producteur grandiloquent, le cinéaste américain laissait pourtant planer le doute quant à sa volonté de montrer à quel point le cinéma transcende parfois le schéma théâtral, ou du moins s’en délivre. Malheureusement, pas la moindre trace ou presque d’une volonté quelconque de mise en scène dans Train de luxe. Tandis que le septième art se distinguait alors du sixième depuis des années par des codes qui lui sont propre, Hawks semble ici désireux de lui faire allégeance. Ou plus probablement manque-t-il des idées nécessaires pour s’en affranchir et ainsi légitimer sa démarche. Plutôt que la mise en scène - seul le plan sur la chaussure d’Oscar Jaffe bloquant cruellement la porte de la loge de Mildred Plotka (devenue Lily Garland) trahit notamment un tel désir -, sans doute faut-il donc aborder Train de luxe à travers son discours critique sur les arcanes du théâtre et de Hollywood. Ainsi, les producteurs ne seraient que des dramaturges ratés, hantés par leur soif de réussite et par leurs aspirations libidineuses. Quant aux actrices, jeunes et adorables brebis gouvernées par leurs illusions, elles ne seraient aux yeux de ces grands démiurges qu’un faire-valoir et un trophée parmi tant d’autres. Ne resterait pour cette raison qu’à les souiller et à diaboliser leur candeur. Trois ans suffisent ainsi à Oscar Jaffe pour transformer Mildred Plotka en Lily Garland, la faisant passer de jeune femme inexpérimentée mais sincère à odieuse et précieuse diva.
À qui de l’acteur ou du metteur en scène revient le mérite du succès public ou critique ? Faut-il mettre un terme à la hiérarchie sous-jacente imposée par le système théâtral ou filmique ? N’y a-t-il pas responsabilité morale de la part du metteur en scène dans l’influence qu’il exerce indirectement lorsqu’il façonne tel Pygmalion l’acteur à son image, lorsqu’il accorde ses faits et gestes à ses désirs ? Les questions posées et mises en abyme par Howard Hawks, innombrables, ne manquent pas d’étoffe. Aussi, le vieillard fou annonçant le jugement dernier à grand coup d’autocollants à bord du Twentieth Century Limited n’est-il pas qu’une façon pour le cinéaste de proclamer la fin du théâtre. Cependant, à aucun moment le réalisateur ne réussit à équilibrer le film censé donner corps à ces réflexions. Après le départ houleux de Lily Garland du théâtre de Jaffe, l’actrice fatiguée par ses ruses et sa jalousie part faire carrière sous la houlette d’un dramaturge anciennement employé de Jaffe. Si celle-ci devient rapidement une star, Jaffe, lui, multiplie les échecs - preuve selon lui de son génie inaccessible. Mais le hasard va de nouveau les rapprocher : dans le train Twentieth Century Limited reliant Chicago à New York, producteur et actrice se retrouvent chacun dans une cabine mitoyenne de l’autre. La comédie débutée sur le plateau de théâtre se poursuit dès lors dans le huis-clos d’un train de luxe. L’artifice utilisé par Hawks et ses scénaristes n’est malencontreusement que trop voyant - parce que trop théâtral, justement. Enchevêtré sous une montagne de gags (les rabbins, le prédicateur, les contrôleurs, les assistants ivres) souvent drôles mais programmatiques, Train de luxe achève de révéler sa pauvreté. Cabotins en diable, John Barrymore et Carole Lombard ne peuvent à eux seuls garder sauf l’édifice. Comme quoi, la collaboration entre acteurs et metteur en scène se trouve être indispensable.
De ce Train de luxe piégé par l’aridité de son séquençage, deux scènes brillantes à conserver toutefois - en sus de la chaussure retenant la porte de la loge : au début celle de l’aiguille plantée par Jaffe dans le postérieur de Lily afin de lui arracher le hurlement nécessaire sur le plateau, et en toute fin celle où au même endroit il l’oblige à jouer - tout en sachant qu’elle en est désormais incapable - le rôle de la jeune femme ingénue et timide qu’elle était à ses débuts. Par un admirable minimalisme, Hawks souligne autant la monstruosité des stratégies de direction d’acteurs - à la limite symboliquement du viol - que l’aliénation des comédiens au bout du compte vampirisés dans leur individualité par le succès et par leur pratique professionnelle. Si Jaffe trouve finalement dans le réel qu’il malaxait jusqu’ici à sa guise matière à son théâtre - "l’amoureux est éliminé", dira-t-il tel un comédien dans le train après avoir fait fuir le bellâtre promis à Lily - y subsistent toujours la tromperie et la fourberie, en un éternel recommencement des passions. Et d’ajouter : "Je ne pensais jamais tomber si bas : faire l’acteur".
Galerie Photos
Votre avis
Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.
aVoir-aLire.com, dont le contenu est produit bénévolement par une association culturelle à but non lucratif, respecte les droits d’auteur et s’est toujours engagé à être rigoureux sur ce point, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos sont utilisées à des fins illustratives et non dans un but d’exploitation commerciale. Après plusieurs décennies d’existence, des dizaines de milliers d’articles, et une évolution de notre équipe de rédacteurs, mais aussi des droits sur certains clichés repris sur notre plateforme, nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur - anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe. Ayez la gentillesse de contacter Frédéric Michel, rédacteur en chef, si certaines photographies ne sont pas ou ne sont plus utilisables, si les crédits doivent être modifiés ou ajoutés. Nous nous engageons à retirer toutes photos litigieuses. Merci pour votre compréhension.