Le 25 mai 2024
Film de guerre et de propagande, Sergent York, grâce au génie de Hawks, dépasse son caractère édifiant en évitant lyrisme et pathos.
- Réalisateur : Howard Hawks
- Acteurs : Gary Cooper, Joan Leslie, Howard Da Silva, Noah Beery Jr., Walter Brennan, Ward Bond, Dickie Moore, George Tobias, Stanley Ridges, June Lockhart, Margaret Wycherly, Carl Esmond , Clem Bevans
- Genre : Drame, Biopic, Film de guerre, Noir et blanc
- Nationalité : Américain
- Durée : 2h14mn
- Titre original : Sergeant York
- Date de sortie : 4 avril 1945
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– Année de production : 1941
Résumé : Alvin York, un jeune fermier à la limite du vagabondage, se marie et se voit contraint de travailler dur pour pouvoir payer sa terre. Alors qu’il s’apprête à abattre le créancier qui a revendu son bien, la foudre frappe son fusil et il devient pacifiste. Mobilisé en 1917, il accepte de défendre la patrie et deviendra un héros national.
Critique : Parmi les œuvres de Hawks, Sergent York est sans doute l’une des plus mal-aimées, à cause de son statut hybride (impur) à la croisée du film de propagande, du récit édifiant et du cinéma d’auteur. Propagande, c’est évident : la date du tournage (1941) ne laisse aucun doute sur les intentions bellicistes ; édifiant, tout autant : la crise mystique, la révélation sous l’orage, le doute sont des éléments du scénario qui peuvent sembler hors d’âge. Rien de très affriolant dans ce biopic d’un héros de la Grande Guerre, touché par la grâce après un passé de bagarreur et d’ivrogne, homme solide et proche de la terre, qui refuse les honneurs. Pas d’ombre au tableau, c’est bien un personnage tout d’une pièce, qui avance droit : Gary Cooper (choisi par York lui-même et récompensé par un Oscar) lui prête son corps et ses expressions qui passent de la maladresse (parfois légèrement surjouée) au redressement, des égarements empruntés à la solidité de la foi et du combat. On a envie de ricaner avant de voir le film, tant ces questionnements nous paraissent désuets, à la limite du ridicule.
Et pourtant … On le répète sans cesse, mais la force du cinéma classique hollywoodien tient à des équipes de professionnels hors normes : entre les scénaristes (parmi lesquels John Huston), le monteur William Holmes, qui avait déjà travaillé avec Hawks pour Brumes et à qui Sergent York valut un Oscar, la musique de Max Steiner et les innombrables seconds rôles tous impeccables, on a un condensé de savoir-faire qui s’agrège en un tout harmonieux. Partant d’une intrigue simple (voire simpliste), le travail d’écriture est à la fois un enrichissement fictionnel et une structuration forte du matériau premier (le journal du « vrai » York) : un système complexe d’annonces et de reprises enracine et charpente le récit. Impossible de les citer toutes, mais si certaines sont évidentes (la chasse au dindon ou aux oiseaux en vol qui devient le programme de l’héroïsme), d’autres sont plus subtiles, comme les interruptions du pasteur puis de York dans des discours importants et prémonitoires, le fait que par deux fois Gracie lui fait fermer les yeux, ou les citations de Daniel Boone… Ce système établit un parallèle entre la vie de paysan et celle de soldat, qui n’est au fond pour York que la continuité de son engagement.
Mais la grande force du film est à notre sens la volonté très nette (et très hawksienne) de refuser la grandiloquence, à la manière de York lui-même refusant les honneurs. On pouvait craindre le pire, tant le sujet se prêtait au lyrisme et à l’exaltation ; pourtant le cinéaste vise constamment l’en-deçà : le plan presque fordien du protagoniste réfléchissant sur la montagne est un exception dans une œuvre centrée sur le détail. Qu’il s’agisse du fait de « mouiller le guidon » ou de montrer les gens qui actionnent les cibles à l’entraînement, Hawks choisit la litote plutôt que l’hyperbole. Et même dans la belle séquence de guerre, il va à l’économie comme à l’efficacité, à la sécheresse comme à la précision. Comment le sergent fait prisonnier une centaine d’Allemands, c’est ce qu’il montre en quelques minutes, sans excès lyrique : ce qui l’intéresse, c’est un héroïsme humain, presque quotidien ; les travellings décrivent plus qu’ils n’exaltent, le montage suggère l’accumulation de victimes. On peut même penser que cette séquence n’a comme but esthétique que d’aboutir à une superbe image, celle d’une forêt de bras levés.
Les dialogues l’emportent constamment sur l’action : Sergent York est un film bavard, sans que la brillance des répliques (comme dans les comédies de Hawks) ne les rendent voyants. On est plutôt là encore dans le quotidien, malgré quelques inévitables tirades sur l’histoire des États-Unis et le dilemme religieux. Encore ces moments sont-ils souvent désamorcés par une tendance à la farce (la bagarre, la chasse au dindon) ou au tableau intime. Nombre de plans d’intérieur, qui rassemblent la famille, bénéficient en effet d’ éclairages soignés, d’ombres creusées et tendent au pictural. Car, répétons-le, ce qui intéresse le réalisateur, c’est l’homme ; en ce sens le travelling qui aboutit à un gros plan, figure récurrente du film, est comme un symbole de cette volonté de pénétrer l’esprit humain.
Sergent York n’est pas le chef-d’œuvre de Hawks. Il manque sans aucun doute de rythme, et son aspect propagandiste, même réduit au minimum, gêne encore le spectateur contemporain. Pour autant, loin d’être un accident dans une filmographie d’exception, il montre à quel point, s’emparant d’un sujet casse-gueule, et à l’aide d’une équipe de génie, le cinéaste sait lui donner une dimension humaine : constamment stimulante, émouvante quand il le faut, cette œuvre dépasse son argument limité et l’amène à une beauté d’évidence qui sert d’écrin à un itinéraire intérieur.
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