Le 24 novembre 2014
- Editeur : Casterman, Historia
- Famille : BD Franco-belge
Quai des bulles c’est aussi un festival BD faisant la part belle aux rencontres et conférences, l’occasion pour nous de revenir sur la table ronde Tintin et la mer organisée autour de la sortie du hors-série d’Historia.
Ce rendez-vous a réuni Jean-Claude Chemin (journaliste et directeur de l’association des 7 soleils à Saint-Nazaire), Benoît Mouchart (directeur éditorial chargé de la BD chez Casterman), Philippe Cochereau (rédacteur en chef chez Ouest France, responsable des suppléments et des Hors-Séries) et Michel Pierre (agrégé d’histoire, spécialiste de l’histoire maritime et passionné de bande dessinée), sans oublier Laurent Beauvallet (journaliste à Ouest France, responsable de la chronique BD) qui a animé cette discussion.
Le projet « Tintin et la mer » fut le fruit d’un travail collaboratif entre Ouest France et Historia qui a déjà l’habitude d’organiser des hors-série sur Tintin (nous pouvons citer Tintin et l’Histoire ou encore Tintin et les forces obscures). L’intérêt de Tintin réside dans le fait que c’est un univers transgénérationnel et qui, à travers lui, peut intéresser un large public aux grandes pages de l’Histoire et notamment de l’histoire maritime.
Il est apparu que, dès la création du projet, un véritable lien unissait Hergé et l’univers maritime du XXe siècle. La question était de savoir comment Hergé saisissait la mythologie de la mer du XXe siècle notamment entre les deux guerres mondiales. Ainsi, cette mythologie s’exprime au travers de l’univers des paquebots tel que Le Normandie l’a porté ou encore l’univers des cargos illustré dans le cinéma par les films de Jean Gabin par exemple.
L’univers maritime s’ancre dans une réalité historique pour Hergé : après la première guerre mondiale, on regarde la mer comme pour échapper aux envahisseurs, on veut quitter le souvenir de la guerre pour aller vers autre chose. C’est au début des années 60 que Hergé va quitter le monde maritime après l’album Coke en Stock et c’est à ce moment que la mythologie liée à la mer s’effondre, en partie, puisque c’est la période de la fin des grands paquebots et de ce qu’ils représentent. L’ancrage dans la réalité historique s’illustre notamment dans Les 7 boules de cristal où les héros passent par le port de Saint-Nazaire avant de partir pour l’Amérique du Sud, or ce n’est pas un hasard s’ils passent par ici car Hergé a pris en compte le fait que Saint-Nazaire était la tête de ligne de la Compagnie Générale Transatlantique pour l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud.
Le lien entre Histoire et BD se retrouve aussi dans les sources qu’Hergé utilisaient. Faire de l’Histoire c’est travailler à partir de sources écrites, de photos, c’est chercher la vérité et différencier les faits réels des faits fantasmés et cette manière de faire est présente chez Hergé et ses collaborateurs. Ils utilisaient de nombreuses sources photographiques et documentaires précises pour réaliser les dessins c’est pourquoi nous pouvons constater, par exemple, que la Licorne ressemble énormément aux navires des tableaux représentant la bataille de la Hougue. L’équipe travaillait également beaucoup à partir de maquettes pour représenter les navires de la manière la plus rigoureuse possible.
Hergé s’inspirent également des évènements dont il est contemporain comme le bal organisé sur le Shéhérazade dans Coke en Stock qui est sûrement, selon Michel Pierre, une référence à la Croisière du Sang Bleu, une sorte de rallye pour têtes couronnées, organisée par la princesse Frederika de Grèce dans les années 50 ; évènement que l’on retrouve notamment dans les Mythologies de Roland Barthes.
Pour autant, Tintin reste une œuvre de fiction et il y a parfois des erreurs dans les albums, il y a une certaine distanciation avec les faits réels. Par exemple dans la dernière édition de Tintin en Amérique, il est impossible que Tintin ait pu prendre le paquebot Normandie en revenant des États-Unis puisqu’il n’était pas encore mis en service. De plus, l’illustration faite du Normandie le montre avec de la fumée sortant des trois cheminées or il s’avère que la cheminée centrale du bateau était factice et était surtout présente pour l’équilibre du bateau ; elle était utilisée comme chenil pour les chiens.
Une véritable relation se noue aussi entre les hommes et la mer chez Hergé, on ne peut que penser au Capitaine Haddock comme illustration de ce lien. Personnage secondaire qui apparaît pour la première fois dans Le Crabe aux pinces d’or dans les caves du Karaboudjan, son bateau, Haddock est notamment représenté comme un marin accroc à l’alcool et au tabac, une représentation qui n’est pas loin de la réalité compte tenu de ce problème connu chez les marins.
Ce personnage, qui devient presque central, n’est pas destiné à devenir l’alter ego de Tintin. C’est la réaction forte des lecteurs du journal Le soir à la suite de son apparition dans le quotidien (car à la base Tintin est publié sous forme de feuilleton dans le journal) qui va pousser Hergé à faire du Capitaine Haddock un personnage de plus en plus important jusqu’à Tintin chez les Picaros où il devient un véritable héros. La guerre de 14 a été fondatrice pour la création de Tintin, il est en quelque sorte l’interprétation d’un désir de pureté, d’une nouvelle génération moins meurtrière. C’est une sorte de super-héros sans pouvoir mais qui peut piloter un avion ou sauter sur une moto en marche, il est l’enfant de la vitesse contrairement au capitaine Haddock qui représente l’ancienne génération.
La table ronde était donc une source riche d’informations sur Hergé et son œuvre mais elle nous a permis aussi de savoir ce que Casterman nous concoctait pour les années à venir. Ils viennent donc d’éditer La Malédiction de Rascar capac en deux livres qui contiennent des versions inédites des dessins des albums Les 7 boules de Cristal et Les secrets du Temple du Soleil. Ils ont prévu de sortir également ce mois-ci Les trésors de Tintin qui sera un ouvrage avec de nombreux fac-similés et des dessins inédits. Ils publieront aussi l’année prochaine les œuvres complètes d’Hergé sous formes de feuilletons intégrales avec une publication chronologique de toutes les histoires qui sont parues dans la presse. D’autres projets sont en réflexion comme la mise en couleur de Tintin au pays des Soviets ou encore publier Tintin et le Thérmozéro, une histoire inachevée d’Hergé dont il a laissé 11 pages crayonnées détaillées et le storyboard.
Vous pouvez retrouver Tintin et la mer dans toutes les librairies depuis le 15 octobre au prix de 8,9 euros.
Galerie Photos
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