Le 14 mars 2025
Camelia Jordana rayonne dans cette comédie dramatique où subtilement et sans pathos la réalisatrice du délicieux Un divan à Tunis témoigne sans fard de la difficulté pour les populations issues de l’immigration tunisienne à trouver leur place dans la société française d’accueil.


- Réalisateur : Manele Labidi
- Acteurs : Marie Rivière, Clémentine Poidatz, Camélia Jordana, Damien Bonnard, Jean-Benoît Ugeux, Sofiane Zermani, Saadia Bentaïeb, Rim Monfort
- Genre : Comédie dramatique
- Nationalité : Français, Belge
- Distributeur : Diaphana Distribution
- Durée : 1h33mn
- Date de sortie : 12 mars 2025

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Résumé : Amel est un personnage haut en couleur. Elle a du tempérament, de l’ambition pour ses deux filles, une haute estime d’elle-même et forme avec Amor un couple passionné et explosif. Malgré les difficultés financières elle compte bien ne pas quitter les beaux quartiers. Mais la famille est bientôt menacée de perdre son appartement tandis que Mouna, l’aînée des deux filles, se met à avoir d’étranges visions de Charles Martel après avoir appris qu’il avait arrêté les Arabes à Poitiers en 732… Amel n’a plus le choix : elle va devoir se réinventer !
Critique : Amel, on la remarque avec son franc-parler, son caractère déterminé, et surtout sa manière intègre d’envisager la maternité. Elle est mariée à une crème d’homme qui remercie tout le monde et ne supporte pas le conflit, là où elle n’hésite pas à affirmer ses décisions avec parfois un peu d’exagération et d’aveuglement. Reine mère est donc un portrait de mère de famille dans les années 80 à Paris, dans un contexte de parcours migratoire relativement récent, où trouver sa place relève du parcours du combattant. Amel habite avec ses deux filles et son conjoint dans un appartement très modeste, au cœur de la capitale, dont le propriétaire a décidé de rompre le bail. S’engage alors pour la smala une course contre la montre afin de retrouver un lieu où se loger, qui soit exclusivement dans le quartier où ils vivent déjà.
- Copyright Kazak Productions
À la manière d’Un divan à Tunis, la réalisatrice examine avec un certain sens du rire la cohabitation des cultures occidentales et migratoires, à partir de référentiels soit en franche opposition, soit en complémentarité. Ici, la question de l’Histoire de France abordée par le regard franco-français et les instructions du Ministère de l’Éducation nationale tranche avec la façon dont le peuple maghrébin qui a été repoussé à Poitiers par Charles Martel, interprète de son côté cet évènement historique. Évidemment, il y a, derrière cette reprise historique, une métaphore délicate des parcours d’installation des populations issues d’Afrique du Nord, venues pour lutter contre la pauvreté. Même la protagoniste réinvente sa propre histoire familiale en faisant de ses parents, des paysans, des sortes de bourgeois modernes qui refusaient d’être réduits à un statut de personnes dominées. En l’occurrence, son refus d’occuper des postes disqualifiés témoigne de sa volonté de poursuivre cette narration familiale qu’elle a installée farouchement dans l’imaginaire de sa cellule d’appartenance.
Une fois de plus, on pourra regretter une bande-annonce qui dévoile trop les traits d’humour du long-métrage. En effet, tout semble déjà dit dans la promotion officielle du film, faisant parfois avorter l’humour de la fiction. À force de voir et revoir la bande-annonce, on ne rit plus des saillies scénaristiques qui pourtant ne manquent absolument pas de sel ou de piquant. Camélia Jordana s’éclate dans ce récit volubile où elle donne à voir tout son talent d’actrice. Elle n’a pas peur d’exagérer les traits de son personnage, sans jamais tomber dans la caricature ou le grotesque. On reconnaît l’immense comédienne fort remarquée dans le film d’Emmanuel Mouret Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait (2020). La chanteuse talentueuse s’affirme de plus en plus comme une actrice accomplie et généreuse. On n’oublie pas l’engagement militant de l’artiste qui n’hésite pas à avoir des prises de position affirmées sur toutes les questions qui tournent autour de l’exclusion et des discriminations. À juste titre, ce film est pour elle une façon de se positionner de nouveau dans le paysage médiatique, tout en lui permettant de s’amuser à incarner cette mère haute en couleur.
- Copyright Kazak Productions
Reine mère ne démérite absolument pas dans la collection des rares comédies de ce début d’année 2025. La fraîcheur avec laquelle Manele Labidi aborde le sujet de l’insertion des populations issues de l’immigration trouve toute son actualité dans un contexte où les radicalités nationalistes émergent un peu partout dans le monde. On se souvient de la force de Molière qui racontait par le rire ce que la monarchie et la noblesse du moment refusaient d’admettre. On sait en même temps comment cet immense dramaturge a fini. Voilà donc un joli film plein de promesses, qui n’a peut-être pas toute l’envergure poétique et narrative d’Un divan à Tunis mais qui séduira sans aucun doute les spectateurs cherchant à réfléchir en s’amusant.